RNVR Nigel Bellis

page 4


Il me demanda d’envoyer le message faisant état de notre décision pendant qu’il traçait la route pour le retour à la base. Je descendis retrouver Bert dans le local radio, je vérifiais de nouveau la version correcte codée de « Je retourne à la base » en vigueur ce jour-là dans le nouveau Code de défense locale et j’attendis avec lui après qu’il ait envoyé le message ‘Clung L’ sur les ondes et qu’il eut la confirmation qu’il avait été reçu et transmis à « Merry » qui était le nom de code du XDO(E).
Nous sommes revenus à Yarmouth, avons passé notre bouée sans problème et Ibby et moi-même nous nous sommes retrouvés dans la chaleur de sa cabine avec la radio réglée sur Radio Andorre Radio Andorre avait été créée par Jacques TREMOULET qui était le propriétaire de radio Toulouse. La station périphérique fut inaugurée le 7 août 1939. Pendant la Seconde Guerre Mondiale elle fut très écoutée car elle ne passait que de la musique, des annonces ou des publicités mais ni informations ni propagande. Elle avait un émetteur en onde moyenne (426m) de 60 kW et un autre en ondes courtes (50,16m) avec une puissance de 25kW. Plaquettes Radio Andorre des années 40 qui délivrait une musique de fond. Je n’y prêtais pas attention lorsqu’une voix forte fit une annonce par-dessus la musique. Certains des programmes en français qu’Ibby écoutait semblaient être plus des annonces que de la musique. Ibby de son côté se leva brusquement.

– C’est Matthews, s’exclama-t-il dans un sursaut. Il avait sa propre prononciation du nom de Bert mais il n’y avait aucun doute pour savoir de qui il parlait. C’était bien sûr la voix de Bert que l’on entendait dans la radio que l’on captait. Ginger apparut dans l’encadrement de la porte un peu plus tard.
– Nous venons de recevoir un message codé du XDO(E), dit-il.
– Le message dit, des E-Boats opèrent dans votre zone
– Des E-Boats opèrent dans notre zone’ traduisais-je à Ibby, je me demande ce que cela signifie.
Notre sentiment était que si des E-Boats avaient réussi à traverser la Manche dans le mauvais temps que nous venions d’affronter alors nous ne pouvions que leur souhaiter bonne chance ! D’un autre côté il devait y avoir des raisons pour que ce message nous ait été envoyé. Une quelconque action était demandée mais laquelle ? ‘Notre zone’ sans doute faisait référence à notre zone de patrouille, or nous dépendions de Yarmouth. Sortir maintenant semblait signifier aller au-devant de ce que nous avait décrit le XDO(E).
Je montais avec Bert et Ginger pour étudier le ‘Code de défense local’. Les phrases disponibles étaient tout à fait inadaptées. Il n’y avait rien qui pourrait, à distance, être interprété comme une demande de clarification.
– Il y a le livre de codage pour le Code de la Marine en bas, dans le coffre-fort avec les tables de recodage correspondantes, indiquais-je aux autres. Est-ce que l’un d’entre vous à une idée de son utilisation ?
Je ne pensais pas que Bert fut au courant des codes exceptés les normes de signalisation dans l’AVSB (Auxiliary vessels Signal Book), la bible des signalman sur les petits bateaux. Bert serait d’une plus grande aide.
– on a fait quelque chose sur ça durant notre formation mais c’était très général dit-il.


Il essayait de s’en rappeler pendant que nous étudions de près les tables.
Rechercher les groupes de code de quatre chiffres pour les mots et les phrases dans le code principal, un grand volume relié avec une couverture lesté de plomb, était assez simple.
Recoder les groupes pour la transmission radio était le problème. Le premier groupe avec le plus de chiffres donnait, grâce au décodeur, la page et la ligne à partir desquelles il fallait démarrer l’utilisation de la table de recodage. De cela nous étions à peu près sûrs. Le problème survenait quand nous arrivions à la fin d’une ligne d’un groupe de quatre chiffres dans la table de recodage. Devait-on continuer sur la ligne suivante de groupes, sur la même page, ou devait-on utiliser ce que Bert se rappelait comme étant ‘la procédure gauche et droite’ et traiter l’intégralité de la double page ouverte devant nous comme une grande feuille unique de recodage ?
La décision dû être prise quand nous sommes arrivés au cinquième groupe et que la seule solution pratique que je pouvais imaginer était de ne pas dépasser quatre mots dans notre message.
Nous avons finalement codé ‘Votre …(heure du signal d’origine du signal du XDO(E)) demandons instruction’
Ce n’était pas le message que j’aurais souhaité envoyer mais au moins il nous sortait de l’impasse. La balle était dans le camp du XDO(E). Nous nous sommes rassis en attendant la suite espérant qu’on nous dirait de rester là où nous étions. La réponse ne tarda pas à arriver. De nouveau on entendit la voix de Bert qui couvrait le programme radio et Ginger arriva avec une autre formulation laconique venant du Code local de Défense; ‘maintenez la patrouille’
Ceci était aussi proche de “Annulez la patrouille » que cela pouvait être obtenu du LDC dont le vocabulaire limité ne convenait pas pour de tels raffinements mais la signification était sans équivoque.
Une fois de plus nous avons enfilé nos cirés et nos bottes, passé la bouée et repris notre itinéraire de patrouille. Nous étions à mi-chemin des Needles quand Bert cria au travers du tube acoustique
– Ils ont changé d’avis de nouveau, annonça-t-il joyeusement. Ils ont envoyé un nouveau signal ‘Retour à la base’
Toute frustration ressentie du fait de ces retournements de situation était sans importance comparée au soulagement lié à la perspective de passer la nuit à Yarmouth plutôt qu’en patrouille. Ibby avait des doutes quant à toute cette affaire.
– Attendez jusqu’à demain matin, prophétisa-t-il et nous allons avoir un autre signal ‘venez me voir avec votre journal de bord’ venant de votre Monsieur XDO(E).
La prédiction d’Ibby était proche de la vérité et nous mettais mal à l’aise.
Nous nous étions le lendemain matin levé tôt, lavé, rasé, habillé, nous avions pris le petit déjeuner, nous étions préparé au pire quand à 9h pile une lampe Aldis se mis à clignoter dans notre direction depuis la petite maison d’été au bout de la jetée de Yarmouth.
Le message, quand Ginger nous l’apporta en bas était de manière générale ce à quoi nous nous attendions à ceci près qu’il était rédigé en terme plus légers que la dernière fois. Nous devions rendre visite au XDO(E) mais cette fois ‘quand nous serions prêt’ et surprise, surprise, ‘de prendre avec nous notre journal de bord et une liste de tous les codes et table de codage qu’on avait à bord.’ Un bateau nous serait envoyé dès que l’on en ferait la demande.
La dernière instruction fut rapidement mise en œuvre par Ginger qui envoya le signal PSB standard (Please sent a boat : svp envoyez un bateau) qui démarrait notre seconde visite au XDO(E) en moins d’une semaine.
Notre accueil par le XDO(E) était en accord avec le ton de son message. Nous n’étions pas vraiment reçus à bras ouverts mais ses premières questions un peu dérangeantes étaient posées d’une voix pas trop sévère.
– Vous êtes-vous identifiés auprès du PWSS quand vous êtes revenus de patrouille et si oui à quelle heure ?
Je dus admettre que je ne l’avais pas fait. Ma surprise que l’on puisse attendre de moi cela devait être visible.
– Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Continua-t-il probablement s’attendant que je réponde que personne ne m’en avait informé.
Je pouvais difficilement admettre que je devais compter sur mon matelot pour me guider dans ce domaine ; qu’il n’avait probablement jamais eu l’occasion auparavant d’entrer dans un port à la nuit tombée et que s’il l’avait fait il se pouvait bien qu’il l’ait fait en accompagnant un bateau plus important qui s’était occupé de l’identification.
– Je pensais qu’après notre signal nous serions attendus, proposai-je piteusement, et que si quelqu’un avait des doutes il aurait lancé un échange de signaux.
Après tout, nous avions toujours fait l’objet d’échanges de signaux quand nous approchions au retour de patrouille le matin et il me semblait raisonnable d’espérer le même traitement la nuit.
Apparemment j’étais dans l’erreur. La responsabilité de nous identifier nous appartenait et si nous ne voulions pas être pris comme ennemi et traité en conséquence.
L’allusion que j’avais faite à notre signal annonçant notre retour donna au XDO(E) l’opportunité de clarifier nos échanges de signaux vus de sa salle des opérations.
Apparemment notre premier signal avait été vu par l’officier de service mais n’avait pas été porté à sa connaissance. Plus tard quand il avait reçu un rapport concernant des E-Boat opérant au-delà des Needles et pensant que nous étions toujours en patrouille, il nous avait passé l’information comme de bien entendu. Notre signal suivant, envoyé en utilisant le Code Naval avait généré une légère panique. Ceci je le compris plus tard.
Cette partie de l’information n’était pas incluse dans le récapitulatif que le capitaine fit de ce qui était arrivé la nuit précédente.
– Lorsque vous nous avez demandé des instructions nous vous avons vu quittant votre patrouille pour partir à la recherche des E-Boats, aussi nous vous avons envoyé le signal de continuer sur votre patrouille.
Il prit une tangente pour étendre le sujet à l’importance des rapports qu’il recevait des vigies qui étaient en haut des falaises et à la question des E-Boats. Quand il eut les rapports suivants concernant d’autres sillages d’E-Boats qui était vu avec une estimation improbable voire impossible de leur course et vitesse, il réalisa que les rapports faisaient référence aux effets produits par la rencontre du flux de la marée montante de la Manche et la marée descendante venant du Solent. (J’ai depuis vu le même effet dans l’estuaire de la Tywi River au pays de Galles et j’ai été surpris de la similitude que cela avait avec des vedettes ultra-rapides).
Finalement il admit qu’il avait demandé à l’ETA à Birmingham des précisions sur l’E-boat qui lui avait été rapporté et qu’il n’avait pas reçu de rapports supplémentaires.
Dans l’intervalle il avait été supposé par ceux qui étaient de service que nous patrouillions encore au Sud des Needles.
La survenu d’une nouvelle crise mis fin à cela. Un nouveau rapport, plus urgent et plus précis fut écrit indiquant qu’un vaisseau non identifié avait été observé dans le Solent entre Yarmouth et les Needles. On était encore à ce moment-là obnubilé par la crainte d’une invasion ainsi que de la présence de traitres et de la cinquième colonne dans nos campagnes. Dans les batteries côtières régnait une certaine nervosité avec les doigts sur les détentes qui démangeaient, les batteries côtières de cette zone réclamaient de mettre en mille morceau ce vilain petit canard que nous étions. C’était la chance de leur vie d’avoir une cible réelle et vivante.
Heureusement pour nous, avec tous les éléments mis sur la table, il eurent, dans la salle des opérations du XDO(E), une vision claire de ce qui se passait.
On demanda aux canonniers quelque peu désappointés de rester tranquille, on nous demanda de retourner à Yarmouth et sans aucun doute quelqu’un de l’équipe du XDO(E) a du s’en prendre plein le dos.
De notre côté, nous nous sommes plus tard demandé, mais nous n’avons jamais eu la réponse, si l’opérateur de boucle que nous avions récemment ‘froissé’ ou contrarié avait à cette occasion fait un rapport sur le ‘croisement de la boucle en entrée mais pas de croisement en sortie’ !
Bien que ne nous présentant pas exactement ses excuses pour la situation créée, le XDO(E), à la fin de ce compte rendu, s’était considérablement adouci. Il avait été rappelé de sa retraite pour prendre des responsabilités avec un groupe de subordonnés civils ayant peu de formation et encore moins d’expérience et essayer de se charger d’un tel travail, avec toutes les responsabilités de temps de guerre, ne devait pas être facile pour lui.
Je me rappelai vaguement de ce que j’avais toujours imaginé quand notre prof d’histoire à l’école nous avait parlé des ‘despotes bienveillants’.
Ayant été établi quelles étaient les différentes causes d’erreurs qui avaient contribué au fiasco de la nuit précédente et sachant qu’il en était d’ailleurs ressorti que nous étions plutôt des victimes que des coupables, et nous ayant assuré qu’il approuvait complètement la décision d’abandonner la patrouille du fait des conditions atmosphériques, il semblait plutôt soulagé de passer à la question moins sensible des codes.
Notre utilisation du Code Naval avait causé beaucoup d’agitation. Il apparaissait que, en prévision d’une entente qui échouerait avec les français à ce moment de la guerre, les autorités ne souhaitaient pas dévoiler leurs codes aux bateaux avec des équipages français. Le XDO(E) était contre cette vision des choses. Il sentait que si nous avions les mêmes devoirs que les bateaux britanniques nous méritions d’avoir les mêmes avantages.
Officiellement, cependant, nous n’étions pas censé transporter le Code Naval et d’être laissé libre de l’utiliser seuls. Il semble que ce fait avait été oublié lors de la soi-disant revue du coffre-fort du bateau, qui m’avait été faite en deux étapes.
Les évènements de la nuit précédente avaient souligné l’inéquation du LDC et l’intérêt d’avoir à bord le Code naval en secours. Le capitaine avait semble-t-il l’intention de profiter au maximum de l’occasion pour faire le point et voulait être en possession d’abord de tous les faits.
Je fus envoyé voir son secrétaire pour lui donner le détail de tous les codes que nous avions à bord.
J’étais soulagé de voir que le secrétaire du capitaine était un caissier sous-lieutenant RNVR qui paraissait aussi inexpérimenté que moi-même. Comme il était de toute évidence en charge des codes et de l’encodage des signaux je saisi l’opportunité, une fois que nous fumes seuls, de comprendre comment nous devions continuer avec les tables de recodage quand nous arrivions à la fin d’une ligne.
– Vous restez sur la même page et continuez sur la ligne suivante ; m’assura-t-il admettant dans un souffle qu’il avait trouvé cela par lui-même.
Je cru comprendre que notre signal l’avais mis dans une situation potentiellement délicate.
C’était en fait la première fois que l’équipe du XDO(E) avait elle-même eu l’occasion d’utiliser le Code Naval. Le secrétaire du capitaine, ayant avec satisfaction identifié quel code nous utilisions et décodé le message avait alors eu peur que le capitaine, désirant ne pas être surpassé, ne demande à son tour de nous répondre en utilisant le Code Naval. Une telle réponse aurait demandé sûrement demandé plus d’une ligne de la table de recodage.
– Heureusement, confessa-t-il, il n’a pas insisté et nous avons pu utiliser le LDC pour vous envoyer notre signal et pu vérifier la procédure de codage correcte quand les choses se sont calmées.
Le XDO(E) devait s’y être retrouvé dans les codes car nous avons conservé le Code Naval et à partir de là les codes étaient toujours émis avec des nouveaux codes et tables de recodages sur les mêmes bases que les Chasseurs avec des équipages anglais.
En plus je fus avisé que le Code Anglo-français que nous transportions en même temps que les tables de recodage avait été probablement cassé depuis Dunkerque et que je devais les rendre quand nous retournerions à Portsmouth.
Je me rendis compte que leur présence à bord n’était pas connue officiellement même quand le bateau était sous commandement anglais !
C’était pendant la période des patrouilles QU qu’il y eut une légère modification dans une des routines de signalisation en place. A la fin d’une période de patrouilles et lors de notre retour à la base il était habituel d’envoyer un signal de demande d’autorisation d’entrer dans le port de Portsmouth. Ginger connaissait la marche à suivre dans ce cas particulier du fait de sa période passée sur le Chasseur avec équipage anglais et il émit la requête appropriée vers le PWSS en répondant à leur demande. Au moment où nous avons atteint Yarmouth, le signal de réponse nous autorisant à entrer nous avait été envoyé et nous fut passé depuis l’extrémité de la jetée de Yarmouth. Ainsi nous ne souffrions pas de délais lors notre trajet de retour à la base.
Quelqu’un au C-in-C (Commander in Chief )à Portsmouth devait avoir réalisé que, ce qui avait été sans aucun doute une habitude traditionnelle des bateaux arrivant dans le Solent venant de loin, était non seulement inapproprié pour nous quittant et revenant dans le port tous les deux ou trois jours de façon routinière, mais était aussi une perte de temps et de ressources considérable au bureau de signalisation. Dorénavant nous étions informés, que nous devions signaler notre intention d’entrer dans le port avec un signal ‘Intention de …’ et de continuer notre entrée sauf demande spécifique de faire autrement. Le silence ou plutôt l’absence du signal demandant de faire le contraire devait être considéré comme acceptation. Cette simple innovation et mon initiation à cette forme de signalisation ‘Intend’ fut une aubaine pour moi plus tard dans ma carrière et me permis d’avoir les mains libres pour prendre des libertés sur une base légitime avec les Autorités à terre.
A plusieurs occasions, comme nous approchions du PWSS à la fin de notre patrouille, nous avons reçu des signaux nous donnant des instructions particulières, c’était habituellement pour des exercices devant être réalisés pour l’entrainement de l’équipage, avant que de rentrer à la base. Un de ces exercices consistait au largage de charges de profondeur, ou au moins d’une charge, pour faire effectuer à l’équipage des exercices pratiques.
Cet exercice particulier était en général le bienvenu car il fournissait une opportunité pour le bateau de s’approvisionner en poisson. Défini avec une certaine liberté manœuvre dans une zone au large, le point précis était décidé par le capitaine après consultation des pêcheurs confirmés de l’équipage ainsi que de la carte du lieu. Des caisses d’oranges vides étaient jetées simultanément avec la charge de profondeur pour créer un marqueur de surface qui suivait les caprices du courant tandis que nous attendions le poisson qui était assommé par le choc en surface. Tout l’équipage se tenait à côté avec toutes sortes de pelles au long manche et de filets préparés en avance pour ramasser la prise.
Cette fois nous n’avons pas eu de chance. Nous devions jeter la charge de profondeur sur le chemin de retour au port en faisant un petit détour quand nous atteignions le Spithead et on profitait des fonds pollués au-delà du Spithead qui était je pense une zone utilisée comme dépotoir pour la zone de Portsmouth. La perspective d’avoir du poisson était faible et le temps de préparation court. Nous avons largué nos charges comme prévu. Le résultat était incertain. Notre charge de profondeur produisit effet de toute beauté faisant jaillir une grande gerbe d’eau à l’arrière.
A notre étonnement apparurent au même moment, ce qui était moins satisfaisant, vraiment proche du port et à tribord, 4 ou 5 autres grandes gerbes d’eau qui ne faisant absolument pas partis de l’exercice prévu. Sans poisson, nous sommes rentrés à toute allure à Portsmouth où j’ai signalé ce qui était arrivé. Personne n’était trop bien informé sur les raisons pour lesquelles cela c’était produit. Des avions allemands pouvaient avoir lâché des mines qui en retour pouvaient avoir été déclenchées par l’explosion de nos charges de profondeur. La même chose aurait pu s’appliquer à des bombes prévues pour des cibles terrestres mais qui auraient été jetées à la mer par un bombardier qui n’avait pu atteindre sa cible.
Le relatif manque de profondeur de la zone de largage et la nature du fond avait dû entrainer des effets particuliers et non prévisibles suite à l’explosion de notre propre charge de profondeur. Quel qu’en fut la raison cela résolut un problème pour nous. A partir de là nous avons effectué nos exercices de charge en profondeur à l’extérieur et bien au large.
L’approche de l’entrée du port de Portsmouth passe près du Parc municipal de Southsea. A cet endroit Ginger et moi avions une bonne vision de la maison dans laquelle j’avais mon meublé et qui se situait dans le lointain sur le côté du parc municipal. La maison avait été peinte récemment en blanc et se détachait clairement des autres maisons nous permettant de nous assurer qu’elle n’avait pas souffert des bombardements durant notre absence.
A ce moment-là Portsmouth n’apparaissait pas être une cible prioritaire, mais les bombardiers allemands, allant vers ou depuis d’autres cibles, trouvait là un point convenable depuis lequel ils pouvaient s’orienter ou trouvaient que c’était là terrain pour lâcher les éventuelles bombes non déversées ailleurs. Le trafic fréquent dans le ciel au-dessus de nos têtes maintenait en activité la lourde batterie anti-aérienne située dans le parc municipal de Southsea, la plupart des nuits.
Nous passions nos soirées dans le salon du premier étage qui était perpendiculaire à la façade de mon meublé. Celui-ci avait été nommé d’une façon un peu solennelle Somerset House. Ces soirées étaient régulièrement ponctuées par le vacarme de cette batterie quand elle tirait sur les avions de passage, leurs explosions, si elles ne secouaient pas la maison elle-même, provoquait le tremblement et le fracas des fenêtres.

Au début mes camarades qui résidaient ici étaient tous des civils, principalement des voyageurs de commerce ainsi que la femme du colonel en charge des batteries AA (Ack-Ack) antiaériennes se situant dans le parc, et leur fille qui était une adolescente.
La mère paraissait de prime abord une dame plutôt redoutable mais on arriva à mieux se connaître quand je vins vers elle un jour dans le salon alors qu’elle essayait d’empaqueter un cadeau destiné à un parent. Elle essayait d’empaqueter son cadeau avec précautions dans une grande boite à biscuit circulaire ; mais maintenir la boite et son couvercle et l’envelopper dans son papier d’emballage lui posait un problème.
Entourée de ciseaux et d’une abondance de fils, de cire à cacheter et de papier d’emballage elle me faisait penser à un chiot avec un papier à caramel collé sous ses pattes. Le papier à emballage froissé avec lequel elle avait essayé d’envelopper la boite à gâteau était trop difficile à maintenir en place en utilisant seulement deux mains.
En essayant de le faire et tandis qu’elle essayait de sécuriser la ficelle autour du paquet, les choses ne faisaient qu’empirer, et finalement chaque fois qu’elle serrait la ficelle avant de passer une autre ficelle à angle droit de la première, celle-ci glissait doucement sur le bord courbé de la boite, et alors qu’elle mettait toute son énergie pour sauver la situation, tout se désintégrait de nouveau sur le sol. Après avoir assisté discrètement à plusieurs essais depuis mon siège à l’autre bout du salon, j’offris plutôt timidement, mon assistance. Elle fut rapidement et avec reconnaissance acceptée. Faire un travail soigné avec le papier d’emballage ne présentait pas de difficultés. J’avais eu une pratique de l’emballage des paquets de toutes formes et tailles à l’époque où j’avais travaillé à Debenham.
Sécuriser la ficelle autour d’une boite ronde était une autre affaire. Ayant vérifié avec elle que la boite était sans importance et le contenu bien empaqueté et non fragile, je pris un bibelot très solide en laiton sur l’âtre à côté duquel nous étions assis et je commençais sans cérémonie à effectuer une série d’encoche sur les bords, en haut et en bas, tout autour de la boite
La base, aux coins carrés, du bibelot supporta le traitement sans signes visibles de dommages et les encoches fournirent un point de fixation d’où la ficelle ne pouvait glisser. Une ficelle, entourant la circonférence de la boite à mi-hauteur et attaché à chaque ficelle permis de faire qu’il y eut peu de risque que quelque chose pût bouger.

Après avoir fini ensemble le travail, en couvrant généreusement tous les nœuds avec de la cire chaude, l’atmosphère glaciale s’évapora et nous sommes restés en très bon terme durant la suite de son séjour.
Dans ces jours, où le ruban adhésif n’était pas encore connu, ce rituel d’utiliser la cire à cacheter apparut être une touche finale essentielle aux paquets ou aux lettres recommandées avant qu’on ne les confit à la Poste.
Cette action procurait un incroyable sentiment de sécurité à l’expéditeur dans un but pratique que je n’ai jamais découvert.
Progressivement durant les semaines qui ont suivi, la composition des résidents que je rencontrais pendant le café dans le salon lors de mes soirées au port, changea.
A la place des civils qui étaient habituellement seulement de passage, les habitants de Somerset House étaient maintenant en uniforme incluant un petit contingent d’officiers de la Marine, tous RNVR qui servaient sur le chalutier bateau de base à Portsmouth, un vieux bateau de la première guerre mondiale, le Maréchal Soult.
Un officier de l’aviation faisait exception par rapport au restes des résidents, je le croisai brièvement un soir alors que je revenais d’une patrouille en mer entouré de ses admirateurs, avant qu’il ne nous quitte pour une sortie de nuit lui permettant de tester la vie nocturne locale. C’était un Lieutenant de l’aviation, bien plus âgé que la plupart d’entre nous mais encore jeune pour son rang. Ceci n’était pas surprenant en lui-même, la bataille d’Angleterre avait apporté une promotion rapide à ces officiers de la RAF qui essayaient de survivre et qui avaient fait leurs preuves au combat.
Bien qu’il ne portait pas de médailles la veste de service de notre nouveau compagnon montrait tout à fait qu’il aurait été en droit de le faire. Il désirait bien entendu apprécier sa convalescence après s’être écrasé dans un avion qui avait été touché, en mettant en avant aussi peu que possible son rang et son statut. Entre temps il amusait beaucoup la compagnie avec ses histoires pleines de bravoures.
Personnellement j’avais peu de contacts avec lui du fait que le moment de mon arrivée, qui se situait après le dîner, coïncidait avec son départ.
Après quelques absences du fait de patrouilles QU je revins et j’appris que notre Lieutenant avait quitté brusquement la pension en compagnie de deux policiers. Les autres résidents m’apprirent que leur ancien héros avait été responsable d’un certain nombre de cambriolages qui avaient eu lieu les semaines passées dans les environs, et que l’uniforme de la RAF qui lui allait si bien venant s’ajouter à son imagination féconde et qui lui avait permis d’apprécier l’hospitalité des bars , avait été volé dans une des maisons où il avait pénétré par effraction et avait en fait aidé la police à le retrouver.
Ce nouvel épisode nous fournit aussi une explication vraisemblable pour justifier les bouteilles de gin vides qui avaient été trouvées dans des pièces normalement inutilisées à l’étage supérieur de la maison. De même les vagues Figures féminines aperçues aux petites heures s’échappant par l’escalier pour sortir de la maison furent mises sur son compte également. Bientôt le salon revint à ses soirées de parties de cartes. C’était habituellement un jeu de black jack qui permettait des changements de joueurs en fonction de leurs disponibilités et qui nous permettait également de converser sur des sujets ordinaires.
Durant les soirées qui correspondaient à des retours de patrouille je n’avais qu’une envie c’était d’aller me coucher le plus tôt possible et je n’ai pas de doute que c’était le cas d’Ibby aussi.
Le second soir, celui où nous étions au port, cependant nous allions occasionnellement, suite à l’insistance d’Ibby, au cinéma. Aller au cinéma n’étais pas un de mes passe-temps favoris mais je pensais que le moins que je puisse faire pour être sociable c’était de lui tenir compagnie. Cela le changeait du confinement permanent dans la cabine du bateau et il y avait, d’autre part, très peu de motivation pour lui d’aller se balader dans Portsmouth pendant le blackout alors qu’il y avait par intermittence des tirs anti-aériens et des occasionnellement des bombardements
Sortir du chantier naval était déjà en soit une opération délicate et j’étais très heureux, quand je parvenais à la grille des chantiers en rentrent chez moi le soir.
Tant que nous mouillions sur la jetée South Railway je m’en tirais assez bien sans trop de problèmes pour trouver mon chemin dans le noir total. Notre poste de mouillage s’étant éloigné dans les chantiers navals, cela me rendit la vie plus difficile. On devait les traverser, via des passerelles étroites, des cales sèches ; nous étions au milieu d’une de ces passerelles lorsqu’un bombardier décida de lâcher son chapelet de bombes une nuit, nous jetant Ibby et moi-même, l’un derrière l’autre à plat ventre tandis que la passerelle était violemment secouée sous nos pieds. Heureusement tout ce dont nous avons souffert c’est d’avoir nos pardessus et pantalons couverts de boue. En plein jour on aurait risqué une certaine perte de dignité mais rien de tel dans l’obscurité totale. Il fallait, à l’écart des cales, contourner des bâtiments au bon moment; trop tôt et il était vraisemblable de percuter un mur de brique, trop tard et nous frôlions dangereusement les bassins. Les bassins ou cales sèches étaient ma plus grande crainte. Tomber dans l’un d’entre eux, plein d’eau, aurait été assez dangereux mais au moins j’aurais pu nager ou du moins je l’espère et ce jusqu’à ce que je trouve un moyen d’en sortir, mais la seule idée de tomber de tout mon long dans un bassin vide n’était pas très agréable. Par moment, bien que j’étais tout à fait sûr d’avoir au moins 20 mètres à parcourir avant de tourner pour longer le bord du bassin suivant , je me retrouvais à m’arrêter net sur ma lancée pour tester le pas suivant car l’espace devant moi me paraissait plus sombre que l’obscurité uniforme qui m’entourait de tous les côtés Le terrain devant moi s’avérait toujours ferme mais ceci ne diminuait pas ma crainte pour le pas suivant. Nous apprécions les nuits éclairées par la lune mais les bombardiers allemands aussi !



RNVR Nigel Bellis

page 4


Divers