RNVR Nigel Bellis

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2-Arrivée du nouvel opérateur radio Bert Matthews

Nous avions appris que l’opérateur radio devait nous quitter pour sa nouvelle affectation (Fleet Selection Board) et que son remplaçant nous rejoindrait dans la journée. Juste après le déjeuner Ginger descendit à la cabine pour annoncer que le nouvel arrivant était dans le local radio pour qu’on lui montre l’installation à bord tandis qu’on me demandait si je voulais le voir maintenant ou plus tard.

– Comment est-il ? demandai-je. Les deux hommes auraient à vivre l’un avec l’autre la plupart du temps et ce serait beaucoup plus facile s’ils s’appréciaient. – Je ne suis pas trop sûr encore, répliqua Ginger, mais ma première réaction est que je pourrais dormir plus tranquille si la porte de la timonerie était fermée à clef ! Je décidai de monter dans le local radio et de le voir moi-même. Je suggérai à Ginger qu’il pourrait préparer du thé. Si j’avais pu m’en sortir avec une tasse de thé alors Ginger aussi et j’espérais que nous pourrions continuer avec les relations plutôt informelles que nous avions entre nous jusqu’à lors. Je m’aperçus tout de suite ce que Ginger voulait dire. Le nouvel opérateur radio, Bert Matthews, était originaire d’Ecosse avec un accent de Glasgow, il avait un nez cassé, une bouche pleine de moignons de dents noircis avec des vides nombreux, un teint crispé allant du jaune au blanc dissimulé derrière une barbe noire de plusieurs jours. Il ne semblait pas trop heureux ni de son sort ni de lui-même. Si la première impression est la bonne alors l’image de Bert était aussi trompeuse qu’il est possible de l’être. Il était le fils unique d’une veuve et dans la vie civile faisait partie d’une équipe d’employés de services, – l’Electricity Board je crois – ses blessures à la face étaient le résultat d’un mauvais accident de vélo qui lui était arrivé et qui avait nécessité une chirurgie aussi réparatrice que possible du nez avec du cartilage pris sur une autre partie de son corps et ses dents qui avaient bien souffert auraient dû être toutes remplacées avec de fausses dents mais Bert avait décidé qu’il garderait plutôt ce qu’il en restait quelle quel que soit l’impact sur son apparence. Sa pâleur n’a jamais beaucoup changée et contrairement à Ginger il n’aurait jamais passé la moitié de son temps en mer sur une passerelle non couverte. Pour comble il semblait circuler toute la journée faisant la navette d’un endroit à l’autre, avec ses bagages et son hamac, avant de venir nous retrouver. Je sympathisais avec lui. Il s’écoula peu de temps avant que je ne m’aperçoive que tout le monde avait entendu parler des Chasseurs français, et avait une idée où ils pouvaient être mais que ces suppositions s’avéraient habituellement être erronées même si faites de bonne foi. Toujours est-il que Bert s’avéra être un des hommes les plus gentils qui soit et lui et Ginger devinrent rapidement de grands amis. Bientôt et inexorablement l’hiver s’installa dans toute sa force. Nous avancions chahutés par des hauts et des creux lors de nos itinéraires de patrouilles, les nuits devenaient plus longues et le Chasseur commença à tanguer et rouler de façon de plus en plus brutale. Les scénarios que nous suivions pour effectuer nos observations restaient foncièrement les mêmes, avec Ginger qui restait sur la passerelle avec moi jusqu’à ce que les feux de reconnaissance aient été changés puis qui descendait à sa couchette jusqu’à ce que je l’appelle juste avant que nous nous approchions des Needles ; Ibby et moi restions tous les deux à guetter toute la nuit.

3-Patrouilles

Nous revenions d’une patrouille particulièrement difficile et nous avions répondu à une demande venant du PWSS (Port War Signal Station : Station de signalisation de guerre du port) qui se situait en hauteur sur les falaises des Needles et nous avions continué vers Yarmouth où nous mouillions durant la journée sur une des bouées en pensant qu’à une seule chose : manger et dormir.
Comme nous approchions du mouillage le signalman au bout de la jetée de Yarmouth établit une communication. J’écrivais pendant que Ginger prenait le message : le X.D.O. (E) (Extended Defence Officer. East) désirait voir le capitaine et moi-même dès que possible ainsi que le journal de bord du bateau. Nous devions y aller comme nous étions sans prendre la peine de nous “habiller” pour l’occasion. Un bateau viendrait nous chercher.
J’étais perdu. Traduire le message pour le capitaine était une chose, lui dire de quoi il en retournait en était une autre. On s’accorda sur le fait que nous devions simplement faire comme on nous l’avait demandé et espérer que les choses n’étaient pas trop sérieuses.
Le XDOE, un certain capitaine Merryman de la Royal Navy paraissait assez âgé et plutôt imposant, même sans les quatre galons dorés qu’il avait sur chaque manche. Il aurait pu avoir un peu de sympathie pour nous car nos visages reflétaient une longue nuit de patrouille.
– Où étiez-vous à 2h25 ce matin ? demanda-t-il abruptement.
Ibby regarda sur ses relevés et donna sa position au sud des Needles.
– Et à 4h20 ce matin ?’
Ibby regarda de nouveau et donna à peu près la même réponse.
– Vous n’y étiez pas, affirma le XDOE avec une certaine aigreur, vous étiez au nord de cette position, au moins à un demi-mile en dehors. Comment je le sais ? Vous avez traversé une boucle et vous avez été repéré à terre.
La ‘boucle’ faisait référence à l’endroit où les câbles avaient été déposés sur le fond de la mer et tendus en une large boucle d’un côté à l’autre à l’entrée d’un port.
Ceci devait être normalement la ligne de défense la plus à l’extérieur et tout bateau la traversant provoquait une variation du courant dans le câble, variation qui était enregistré à terre par le dessin d’une trace via un stylet similaire à celui utilisé dans un baromètre anéroïde. Ceci était particulièrement utile pour détecter la visite non souhaitée d’un U-Boat par exemple ou bien sûr de tout autre bateau pendant la nuit.
Les boucles étaient doublées par les barrages flottants plus en amont, dans notre cas juste au-delà de Yarmouth où des filets anti sous-marins étaient tendus de côte à côte avec juste une petite passe laissée pour le trafic d’entrée sortie du port, le jour. Cette passe était fermée la nuit par le navire qui posait les barrages flottants positionnés à l’entrée et qui devait mettre la partie manquante de filet en place à la tombée de la nuit.
Dans notre cas la boucle que nous avions croisée était celle protégeant l’entrée des Needles vers le Solent.
– Vous avez mis toutes les batteries côtières en alerte jusqu’à ce qu’elles vous aient enregistré alors que vous sortiez de la boucle de nouveau un peu plus tard et qu’ils aient réalisé que c’était vous, continua le XDO(E), cela est arrivé deux fois dans la nuit et la défense côtière ne l’a pas apprécié !’

Ni vous non plus pensai-je. Je réalisai à ce moment-là le pourquoi de la présence des BNLO sur les bateaux français. Ibby se tenait tranquillement à côté avec son livre de bord avec une vague idée de ce qui se passait. Je me prenais en pleine Figure l’attaque en laissant Ibby en dehors. Les officiers de liaison avaient leur utilité même si c’était uniquement pour dérouiller.
Ayant fait le point, le XDO(E) s’adoucit un peu.
– Comment était la mer la nuit dernière ? demanda-t-il. Il devait en avoir une bonne idée car il continua sans attendre ma réponse.
– Assez mauvaise j’imagine. Alors vous auriez pu rentrer en annulant la patrouille.
Voyant mon expression il devait avoir réalisé qu’une telle idée ne m’était pas venue à l’esprit.
– Bien, vous comprenez pourquoi vous faites des sorties n’est-ce pas ?
J’espérais qu’il n’insisterait pas sur ce point et je marmonnais quelque chose comme ‘patrouille anti-invasion.
– Exactement, dit-il, l’idée est que s’ils débarquent, ils vous rencontreront d’abord et que vous serez en mesure de nous avertir, au moins un peu en avance. Autrement nous ne n’en saurions probablement rien jusqu’à que le débarquement ait lieu.’
Il me regarda brusquement,
– Avez-vous eu votre fusée ?
– Oui Sir, elle est attachée sur la passerelle avec un couvercle de protection dessus.
La fusée était la plus grosse que je n’avais jamais vue et nous devions la tirer pour prévenir la côte dans le cas où nous rencontrerions des forces de débarquement.
– Bon, continua-t-il et les Mots clés ?’
– Oui Sir confirmai-je
La tempête était retombée d’elle-même et je commençais à me sentir plus à l’aise.
– Bien, continua le vieux capitaine, ils ne vont pas commencer à débarquer des hommes par cette tempête, n’est-ce pas ?
Je ne bougeais pas.
– S’ils arrivent à leur faire traverser la Manche, et quelle que soit la troupe qui le fasse, elle ne sera pas bonne à grand-chose à l’arrivée, n’est-ce pas ? continua-t-il catégoriquement.
Je pouvais comprendre son point de vue. Je savais comment je m’étais senti durant la nuit et nous étions pourtant encore proche du rivage. Cela aurait été encore pire au, milieu de la Manche. Mais, pensai-je pourquoi alors nous faire sortir ?
Comme s’il lisait dans mes pensées il répondit à la question que je n’avais pas posée.
– Quand nous pensons que le temps va devenir trop mauvais alors nous annulons la patrouille pour la nuit, mais en général on compte sur vous. Vous êtes dehors et vous savez ce qui se passe.
Je lançai un autre ‘Oui Sir ‘
– Et il n’est pas utile de poser la question au PWSS, continua-t-il, en y mettant un peu de sentiments, ils sont au chaud, protégés des intempéries et regardant la mer en bas, du haut des falaises, ils ont estimé que cela paraissait vraiment calme ‘
Ibby se tenait toujours patiemment à mes côtés. Je pensai qu’il était temps qu’il sache de quoi il en retournait et je lui donnais une version édulcorée de ce que le XDO(E) m’avait dit.
J’insistai plus sur le “retour à la base” que sur le croisement des boucles. Il m’apparaissait à ce moment-là que la question des boucles pourrait être abordée en détail après que nous nous serions restaurés et reposés.
– Dites-lui, dit le XDO(E) comme je finissais, que s’il y a une invasion, une fois que vous nous en avez avertis vous avez fait votre boulot. Pitié n’essayez pas d’y rester. Vous recevriez les coups des batteries côtières.
Notre contribution à la défense de Brighton, pensai-je
– Si vous n’êtes pas coulés essayez d’aller à Portland ajouta le vieux gars pensivement. Ils ne devraient pas y débarquer.
Une occasion de tester les avis du XDO(E) se présenta à nous à peine quelques patrouilles plus tard. Il semble que nous avions résolu le problème du croisement des boucles en remplaçant, non officiellement, les itinéraires de patrouille qui nous étaient donnés et qui passaient je crois seulement à environ un demi-mile au sud des Needles et de la bouée de Christchurch Ledge, par notre propre itinéraire de patrouille, un mile plus loin au sud mais qui était parallèle à la patrouille prévue. Nous pensions que l’itinéraire original et officiel avait été défini arbitrairement sur la carte pour couvrir l’entrée du Solent sans apprécier la différence entre la patrouille vue d’un bureau et celle vue depuis la passerelle, la nuit.
Maintenant nous avions l’opportunité de nous débarrasser du problème du mauvais temps.
Bien que je confesse que mon point de vue était probablement partial au moment où nous atteignions la pleine mer au Needles, j’étais tout à fait convaincu que ce n’était pas un temps pour nous et certainement pas favorable à un débarquement des allemands.
La décision était du ressort du capitaine ; sans me soucier d’une quelconque influence extérieure, j’aurais laissé tomber.
La position d’Ibby était plus difficile. Mis à part sa responsabilité de prendre la décision basée sur les conditions climatiques et de son expérience de marin, il était aussi concerné par le fait qu’il pouvait être montré du doigt par ceux, bien que n’étant pas en position de juger par eux-mêmes, qui affirmaient que les Chasseurs armés avec des équipages français n’étaient pas à la hauteur et prendraient leurs jambes à leur cou pour filer au port aux premiers signes de mauvais temps. Nous continuâmes, passé les Needles dans l’obscurité grandissante l’itinéraire de patrouille que nous avions modifié. Comme notre patrouille progressait, le temps empira et finalement Ibby concéda que de rester dehors ne ferait que provoquer la colère du XDO(E).


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