RNVR Nigel Bellis

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Je ne me voyais pas chercher dans les papiers qu’il m’avait laissés pour trouver la réponse à cette question-là et je préférais ne pas débuter dans ce travail en ayant à compter sur les deux matelots qui en savaient plus que moi.

– Si la patrouille est confirmée vous verrez arriver le chalutier venant de Portsmouth juste avant le crépuscule. Il vous enverra probablement un signal mais dans tous les cas vous serez derrière lui. En fait vous recevrez probablement un signal de l’extrémité de la jetée autour de 4 heures indiquant que la patrouille est annulée. C’est ce qui est arrivé chaque nuit depuis que nous sommes ici.
 – Comment cela se fait-il, demandai-je avec surprise, est-ce que le temps est considéré comme trop mauvais ou quoi ?
 – Oh non, ce n’est pas ça. Le problème c’est que lors des deux dernières patrouilles, les Chasseurs 6 et 7, qui naviguaient sous pavillon britannique, ont croisé des destroyers allemands sur leur itinéraire de patrouille et ont été coulés. Depuis il semble qu’on n’ait pas envie de nous faire sortir.

Après toutes ces bonnes nouvelles il me serra la main, me souhaita bonne chance et démarra officiellement son congé. Nous reçûmes en effet le signal prévu indiquant l’annulation de la patrouille de nuit. Je ne peux pas dire, malgré l’enthousiasme que j’avais à commencer mon nouveau travail, que je ressentis une grande déception lorsque Martin, le signalman, m’apporta le signal en bas dans la cabine. J’avais en tête le destin malheureux des Chasseurs 6 et 7 qui m’avait été raconté plus tôt dans la journée, du coup l’annulation de la patrouille me donna la possibilité de passer un peu plus de temps sur les documents officiels qui étaient sous ma responsabilité, de mieux connaître mes deux matelots de liaison et bien sûr mon nouveau capitaine. Ce dernier était un homme dont la compétence m'apparut comme évidente et il m’inspira d’office confiance. Il avait les cheveux noirs, était fin, de taille moyenne, avec des yeux légèrement sur le côté dans une figure plutôt ronde qui sans une barbe de plusieurs jours aurait eu une apparence encore plus agréable en lien avec ses origines basques. Bien qu’il ne fût âgé que de quelques années de plus que moi, mon respect immédiat pour lui devait se justifier plus tard tant du fait de sa bien réelle maturité que de ses manières dans le monde et en mer. Il ne parlait pratiquement pas l’anglais et mon français relativement fluide nous convint. Après les problèmes de communication des précédents jours son soulagement n’était pas feint et de mon côté j’étais très content d’avoir décidé dès le début que le français serait la langue de communication. Son usage journalier améliora nettement ma fluidité en français mais plus que tout cela me mis en confiance quant à ma propre utilité comme officier de liaison sur le bateau, tâche pour laquelle je n’avais ni instruction spécifique ni description précise ni à ce moment-là de compétence que j'aurais pû mettre en évidence.

Les deux matelots britanniques me firent une impression plus favorable alors que je retournai plus tard au local radio pour discuter directement avec eux . La présentation qui avait eu lieu plus tôt avait été rapide et plutôt formelle mais maintenant l’ambiance était plus détendue et amicale. Ceci fut, sans aucun doute, favorisé du fait du moment de ma visite. Quand j’entrai dans leur étroit domaine je pus constater qu’ils venaient juste de préparer eux même un pot de thé pour le milieu de l’après-midi. C’était quelque chose que je pouvais apprécier beaucoup plus que le vin rouge français que l’on m’avait offert plus tôt et je pris, à partir de ce jour-là, le vieil adage de la marine, « d’abord réglez le problème de la cérémonie du thé et le reste de la journée de travail se déroulera toute seule », comme base pour établir des relations internes efficaces.

Ils étaient sur le bateau depuis sa saisie par la marine britannique. Le signalman Martin était un matelot H.O (Hostility only ou conscrit), peut-être un peu plus jeune que moi avec un teint frais et rougeaud, avec des cheveux roux (il n’était pas nécessaire de demander quel était son surnom) et était une personne plutôt ouverte et amicale, ce qui semblait lui permettre d’être en bon terme avec tout le monde incluant les membres de l’équipage avec qui nous allions travailler et ceci grâce sans aucun doute à sa volonté d’améliorer son niveau de français qui avait été sanctionné par un certificat scolaire en français (School Certificate French). Au contraire l’opérateur radio était probablement six ou sept ans plus vieux que Martin ou que moi-même. Marié et portant des lunettes il avait, sans aucun doute du fait de sa vue, été un membre des R.N.V.(W.) R. la branche des opérations radio des Volontaires de Réserve. Pour les même raisons il n’aurait pas été recruté dans la Marine, mais la commission spéciale toute récente avait modifié cette situation et j’avais été prévenu brièvement, après que les papiers nécessaires furent cochés et signés, que sa demande pour une nomination dans cette branche était bien avancée et que probablement il nous quitterait pour un embarquement dans la flotte retenue, très bientôt. Bien que les deux matelots pouvaient, sans problème s’installer dans le poste d’équipage situé en avant de la cabine du capitaine et que leur logement officiel était situé là, ils avaient avec succès, établi leurs quartiers dans leur propre coin du bateau, dans le local de transmission et dans la timonerie, dans le coin opposé à l’étroit passage qui traversait la structure.

Le jour suivant, qui était le dernier où nous avions été planifiés pour les patrouilles, il n’y eut pas de signaux d’annulation. Nous sommes restés prêts pour un départ en mer. Après avoir déroulé la procédure de signalisation, j’enfilai les bottes de marin et le ciré qui m’avait été fournis par le capitaine et ayant été avisé que le chalutier approchait je suivis le capitaine sur la passerelle. Cette première patrouille ne fut pas particulièrement mémorable. Evidemment je réalisai que c’était la règle des patrouilles défensives, où l’on passait toute la nuit à rechercher des choses qui n’étaient probablement pas là. Et si elles l’avaient été, nous aurions pu ne rien voir même si les navires ennemis avaient été à une distance relativement proche, c’était une époque où le seul équipement de détection fiable était la vue acérée des vigies.

 Nous avons fait le trajet de Yarmouth aux Needles dans la lumière faiblissante et avec une mer modérée. Une fois passés les Needles et alors que nous étions en pleine mer, le bateau commença à balancer de manière incontrôlée et j’étais heureux que l’obscurité puisse me cacher, alors que j’étais suspendu à la rambarde du bateau, dans des accès de mal de mer qui se succédaient. J’avais pensé que les jours passés précédemment sur le Teviotbank, moins d’une année auparavant, avaient été assez difficiles et que l’amélioration après plusieurs mois de mer et la venue d’un temps de printemps plus favorable signifiait que j’avais acquis le pied marin. Rien n’était plus éloigné de la vérité en fait, bien que les choses s’étaient améliorées avec le temps, je ne devais jamais, en ce qui concerne le mal de mer, être un bon marin. J’étais quelque peu soulagé de constater que je n’étais pas le seul membre de l’équipage qui devait de temps en temps se fendre d’une visite à la rambarde du coté qui était sous le vent et que personne n’était stigmatisé pour cela, du moment que le travail était fait. En ce qui me concerne mon travail était assez léger. Le signalman changeait quand il le fallait les feux de signalisation puis partait dormir comme il pouvait sur sa couchette dans la timonerie jusqu’aux premières lueurs, au moment où les signaux seraient vraisemblablement transmis par le chalutier ou plus tard par les stations côtières quand nous rentrerions à la base. Je devais crier dans le tube acoustique vers le timonier qui était en dessous et qui transmettrai le message.

Je ne voulais pas me retrouver dans l’air vicié de la cabine dessous et dans tous les cas je voulais être prêt si quelque chose arrivait. Je trouvais un coin approprié dans lequel je pouvais me caler pour lutter contre les violents mouvements du bateau. Dans cette position je ne gênais pas les allez et venus des autres alors qu’ils guettaient, mais étant bien situé entre la table des cartes et l’habitacle j’étais disponible si nécessaire. Comme moi le capitaine passa toute la nuit, infatigable, à vérifier et superviser le travail de son équipage pas encore vraiment qualifié. Quand les lueurs du jour pointèrent et que nous avions tracé notre route au travers des eaux plus calme du Solent vers notre base à South Railway Jetty à Portsmouth nous avons été reconnaissants d’apprendre qu’un créneau au port nous avait été alloué pour effectuer de la maintenance.

De toute évidence j’avais la bonne fortune de commencer dans mon nouveau travail assez tranquillement. Notre court arrêt au port passa rapidement mais ce fut suffisant pour retrouver mes jambes. Chaque matin Ginger le signalman allait à HMS Dolphin, notre base officielle, en prenant un des bateaux de service pour récupérer le courrier ou les signaux qui nous étaient destinés. Etre amarré dans le chantier naval principal, à l'opposé de HMS Dolphin située à Gosport (face à Portsmouth), avec les Chasseurs armés avec des équipages britannique, me convenait parfaitement. Avec ma chambre à terre je pouvais aller et venir comme je le souhaitais sans avoir à compter sur la disponibilité d’un bateau pour traverser le port. A bord je pouvais m’entretenir avec divers officiers ou matelots, britanniques et français, de ce qui devenait de plus en plus mon domaine.

Après le premier jour, alors que j’avais bien dormi jusqu’à tard le matin, j’arrivai à bord après 9 heures. A cette heure-là le capitaine était debout et la cabine était de nouveau dans son état normal de la journée. La quantité de documents de travail que je recevais me donnait beaucoup de choses à faire, ce qui me donnait l’impression d’être important car je n’avais auparavant jamais de ma vie reçu autant de courrier et j’espérais laisser au capitaine le sentiment qu’il y avait autre chose à faire, en ce que me concernait, que de rester debout sur la passerelle lorsque nous étions en mer. Lire et classer tous les divers ordres, AFOs( admiralty fleet orders : ordres de la flotte de l’Amirauté) contenant des informations générales à destination de toute la Marine, PGO (Portsmouth General orders) pour les bateaux dépendant de Portsmouth avec leurs pendants confidentiels, les CAFO et CPGOs, incluant les informations secrètes correspondantes, m’aidèrent à avoir une idée plus générale de où il fallait regarder pour obtenir les informations nous concernant aussi bien que pour avoir un aperçu de ce qui se passait dans la Navy en général. Je trouvai dans le CPGOs des listes imprimées régulièrement des signaux d’identification que normalement Ginger récupérait de notre bureau à la base avant de quitter le port, aussi bien que les messages QZ. Ceux-ci étaient les messages de navigation donnant les détails des champs de mines qui avaient été trouvés, les canaux balayés par les dragueurs de mines et les aides à la navigation publiés mais en général non transmis. En discutant de ces informations qui nous arrivaient, avec le capitaine ou plutôt “Ibby”, comme nous avions commencé à l’appeler trouvant Ibarlucia peu pratique, nous étions arrivés à un partage des responsabilités qui nous convenait. Il me laissait le traitement des diverses éditions de routines etc. et les problématiques de navigation étaient pour lui. La plupart des ajouts ou des modifications à nos plannings étaient présents dans les “Notes aux marins”, elles étaient formulées dans un langage suffisamment stéréotypé permettant de traiter n’importe quel sujet, de manière compréhensible y compris par Ibby et ce dernier pouvait aussi les passer à l’un des deux aspirants de marine que nous avions à bord et qui étaient sous ses ordres. Les messages QZ confidentiels contenus dans le CPGO dans mon coffre-fort, m’étaient laissés pour mise à jour. Deux choses importantes survinrent durant notre courte immobilisation au port. Il avait été décidé, en partie sans aucun doute suite à la perte des Chasseurs 6 net 7 que les patrouilles A, B et C seraient arrêtées et une nouvelle patrouille, une patrouille QU, serait créée comme tâche principale du Chasseur. La nouvelle patrouille était une patrouille anti-invasion couvrant les approches de l’est du Solent. Elle partait du sud du phare des Needles jusqu’au sud de la bouée de ChristChurch ledge et serait patrouillé par un Chasseur seul. L’idée de travailler de façon indépendante et de décider de nos propres actions nous remplit d’une profonde satisfaction Ibby et moi-même. L’autre élément était l’introduction d’un nouveau Code de défense local (Local Defence Code). C’était une table de codage extrêmement basique de 20 à 30 des phrases, ordres ou requêtes les plus utiles habituellement, avec leur équivalents codés, liste devant être allouée chaque jour du mois, suivant une table éditée mensuellement au CPGOs. Ses possibilités étaient bien sûr très réduites et s’ils étaient utilisés de façon intensive la sécurité obtenue était de durée très courte mais pour le court terme, ces codes sur quatre feuilles de papier étaient à priori considérés comme convenant à de petits bateaux et étaient en tout cas très facile à utiliser. Nous devions très rapidement nous rendre compte quelles étaient les limites découlant de cette simplicité. Avec notre retour en activité nous eûmes la chance d’avoir une période de beau temps et de bonne visibilité, notre activité était partagée en deux nuits de patrouilles QU et deux nuits au port.


RNVR Nigel Bellis

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Divers

Needles : pointe nord-ouest de l'ile de Wight.