Souvenirs du RNVR Nigel Bellis
Nigel Bellis est né à Leicester le 17 mars 1919; il a entre autres fait des études à l'école de Commerce de Neuchâtel en Suisse. En octobre 1940 il vient de passer sous-lieutenant RNVR (Royal Naval Volunteer Reserve), il a 21 ans et il parle français.
Il est alors affecté au Chasseur 10 'Bayonne' qu'il va rejoindre en tant qu'officier de liaison (BNLO). Il y aura trois britanniques sur le bateau, un signalman, un opérateur radio et donc un officier de liaison. Du fait des différences de procédures et de signalisation entre la marine britannique et la marine française, cette présence était nécessaire.
Nigel Bellis avait commencé à écrire ses souvenirs, le récit ci-dessous porte sur la période octobre-décembre 1940. C'est son fils David (gwulo.com) qui m'a fait parvenir ce récit dont j'ai réalisé la traduction.
Dans le récit qui suit on voit Nigel arriver sur le Chasseur 10 à Yarmouth, le 23 octobre 1940 ; le Chasseur, une semaine plus tôt avait été rétrocédé aux FNFL par les britanniques et le 1er maître de manœuvre Ibarlucia en avait pris le commandement.
Dans le récit il est fait allusion à un maître d’hôtel, il s’agit de Robert Lesca et à une personne en charge des approvisionnements, il s’agit du maître-aspirant Marcel Froger. (Source : P. L’Hours)
1-Arrivée sur le Chasseur 10
23 octobre 1940, Yarmouth, Ile de Wight
Il me paraissait petit ce bateau dans lequel je montais. J'y fus
accueilli par un sous-lieutenant RNVR. En fait accueilli est un bien
grand mot car il me présenta un visage où on pouvait lire comme un mélange de
frustration refoulée, de soulagement et d'anxiété.
– Descendez et venez rejoindre le commandant, me dit-il, et nous
pourrons effectuer le transfert des consignes.
Il me conduisit en bas, dans une petite cabine similaire à celle que
j’avais vue brièvement lors de ma visite sur un Chasseur dont
l’équipage était britannique alors que j'étais à la base HMS Dolphin. Max Ibarlucia, le commandant français se leva de derrière
son bureau, me salua brièvement et nous informa qu’il allait nous
laisser travailler et qu’il nous verrait pendant le déjeuner.
La passation des consignes fut des plus rapide et très ciblée. Je
m’étais assis d’un côté de la table rabattable et j’avais sous les
yeux quelques pages d’inventaire, celui que j’espérais être mon
mentor ouvrit le coffre-fort, qui se situait sous l’échelle menant
sur le pont principal, cela ressemblait à un buffet sous des
escaliers où l’on stockerait des tasses. Il commença par débiter à
toute allure les titres des livres, des classeurs, des feuilles
volantes, de documents rangés et des classeurs. Ainsi chaque élément
était placé momentanément sur la table pour me permettre de comparer
avec ma liste que je cochais au fur et à mesure; ma confusion qui
allait croissante devait commencer à se voir. Il s’arrêta dans
l’énumération des titres.– Ne me demandez pas de quoi ça parle, le
commandant s’en occupait quand j’étais son numéro 2 et quand il est
parti, il a simplement passé la liste en revue, exactement comme je
le fais avec vous maintenant.
– Durant les quelques jours qui ont précédé votre arrivée, il
n’apparaît pas qu’il y ait eu des points posant problème,
ajouta-t-il.
Comme nous arrivions à la fin de la dernière pile de papier, il me
montra les deux derniers papiers prenant un air plus sérieux.
– Maintenant ces deux ci sont très importants, annonça-t-il, le
premier est l’ordre de navigation qui nous informe de l’itinéraire à
suivre quand nous sortons en patrouille. Le signal de navigation
fait uniquement référence aux patrouilles A, B ou C, les détails
sont tous ici. Cependant en réalité, continua-t-il attentionné, vous
ne devez pas vous en inquiéter de trop et moi-même je ne l’ai pas
fait. Les trois itinéraires sont marqués sur la carte, le commandant
français est parfaitement au courant de ce qu’il doit faire et il
semble parfaitement s’en accommoder. N’importe comment si vous
sortez ce sera avec un chalutier que vous devrez suivre et donc tout
ce que vous aurez à faire c’est de coller à son feu arrière bleu.
Je me demandai si la dernière feuille à être vérifiée serait traitée
aussi cavalièrement.
A ce moment il se fit un peu plus précis mais à peine.
– Ceci concerne les signaux de reconnaissance, m’expliqua-t-il, qui
servent à vous identifier si vous devez répondre à une demande en mer
ou à effectuer vous-même une demande vis à vis d’un autre bateau. Il
y une lettre de l’alphabet à transmettre pour la demande et une
autre pour l’identification. Ils changent à minuit GMT, tout comme
pour les feux de reconnaissance. C’est une combinaison de trois feux
colorés. Ils fonctionnent ensemble pour permettre des contrôles et
ils changent chaque jour. Martin, le signalman, connaît l’exercice
et si vous lui donnez avant de partir naviguer la combinaison devant
être utilisée il s’en occupera. Oh, …et il connaît les procédures
pour entrer et sortir du port, aussi il n’y aura pas de souci.
D’un air qui mettait un terme à sa présentation, il me donna un
crayon et posa la clé du coffre-fort sur la table.
– Maintenant si vous signez là et là comme ayant bien tous les
documents qui sont listés, vous pouvez prendre votre copie et la
mettre dans le coffre et ensuite le fermer et ce sera tout.’
– Qu’est ce qui suit?’ Demandais-je espérant plus de précisions.
– Le déjeuner, me répondit-il, le capitaine nous a indiqué que nous
devrons le prendre plus tôt aujourd’hui et ainsi je pourrai être à
terre à temps pour attraper le train pour me rendre de Yarmouth à
Ryde et de là prendre le ferry pour Portsmouth. De toute évidence il
espérait bien qu’il pourrait passer la nuit prochaine dans son
propre lit chez lui, en ôtant de son esprit tout souvenir de son
court séjour sur un bateau armé par un équipage français.
Bien que j’eus ma chambre à terre à Southsea je devais néanmoins
prévoir mon installation à bord pour les périodes où nous serions en
mer et je m’occupai donc de ce point. Apparemment l’arrangement avec
le capitaine était que je pourrais partager sa cabine d’une façon
minimaliste, mangeant avec lui sur la petite table rabattable que
nous avions auparavant utilisée pour vérifier les documents et
dormir dans un hamac qui était actuellement rangé dans la salle de
bain contiguë à la cabine. Le hamac pourrait être étendu en travers
de la cabine grâce aux crochets qui étaient soudés aux cloisons.
Je demandai ce que mon prédécesseur pensait du capitaine ; c’était
plus pour faire la conversation que pour qu’il me donne son opinion,
opinion que j’aurais d’ailleurs probablement totalement ignorée
jusqu’à ce que je me fasse ma propre idée.
– Il semble bien connaître son métier, fut la réponse, mais il a un
sens de l’humour particulier, je préfère vous en avertir.
J’étais très attentif, un homme prévenu en vaut deux.
– Nous avons une carafe de vin rouge à table à chaque repas,
continua-t-il, le premier jour il m’a demandé, tout en posant le
goulot de la bouteille sur le bord de mon verre, si j’aimerais en
avoir, mais dès que je lui ai dit oui, il s’est servi rapidement, a
remis le bouchon sur la carafe et a remis la carafe à sa place en
face de lui. Après m’être fait avoir deux fois j’ai ensuite commencé
par remplir mon verre d’eau avant qu’il ne puisse me rejouer ce
tour.
C’est alors que le maître d’hôtel apparut et qu’il dressa la table
et en un rien de temps nous étions assis sur les trois côtés
possibles de la table avec le capitaine qui présidait au centre.
– Voulez-vous un peu de vin, me demanda-t-il en français. Je
l’assurai que je me contenterais d’eau ce qui était vrai.
– Est- ce qu’il existe des officiers britanniques qui aiment le vin
rouge ? continua-t-il en français.
– Votre collègue l’a refusé quand je lui en ai offert et maintenant
il saute sur l’eau comme s’il avait peur que je veuille remplir son
verre avant qu’il ait eu le temps de refuser !
Il semblait si sincère en décrivant la scène que je trouvai justifié
de dire que mon collègue aurait certainement été très heureux d’un
verre de vin.
– Mais je le lui ai vraiment demandé en deux occasions distinctes et
à chaque fois il a décliné mon offre avec un ferme ‘Merci’,
insista-t-il.
Cela devint évident pour moi ; j’avais eu un problème similaire
quand j’étais à l’école en Suisse.
– Qu’avez-vous exactement répondu quand le capitaine vous a offert
du vin, demandai-je à mon tout nouveau collègue ?
– Je lui ai dit très clairement 'Merci beaucoup'. Mais cela n’a
servi à rien.
– Merci en France peut parfois être considéré comme un refus poli
mais catégorique ; lui expliquai-je, dans la mesure où vous voulez
dire ‘Oui s’il vous plait’ alors dites exactement cela.
Des explications et une profusion d’excuses suivirent et alors que
nous trinquions avec nos verres pour un toast à la fois de bienvenue
et d’au revoir, deux d’entre eux étaient remplis de vin et le mien
seulement d’eau. Si j’étais bien conscient d’être totalement
ignorant de mes devoirs en tant qu’officier de liaison j’avais au
moins franchi une étape pratique dans la bonne direction.
Quand le repas fut terminé je ne vis pas de raison de retarder son
départ dans le seul but de me faciliter les choses.
– Mes affaires sont là-haut dans la timonerie, déjà prêtes pour que
je puisse débarquer, me dit-il, aussi si vous voulez bien monter je
vous présenterai au signalman et à l’opérateur radio dans son local
radio, de plus c’est sur mon chemin.
Les présentations furent brèves. Il était pressé de se mettre en
route et je pensai que j’aurais tout le temps pour me familiariser
avec les deux matelots dans les jours à venir.
Nous avons quitté le local radio et sommes allés le long du quai
vers là où se trouvait le dinghy qui était déjà chargé avec ses
bagages. Je cogitais un peu, pensant aux autres problèmes qui
pourraient survenir alors qu’il allait être trop tard pour le
questionner.
– Comment savons-nous à quel moment nous devons sortir pour une
patrouille ? lui demandais-je.