RNVR Nigel Bellis

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4- Au cinéma

La première fois qu’Ibby et moi sommes allés au cinéma j’avais accepté sa proposition sans réserves. Plus tard j’ai essayé de trouver une salle où un western passait comme film principal. Ibby insistait sur le fait qu’aller au cinéma était son petit plaisir et il ressentait une certaine fierté à acheter les billets lui-même. Malheureusement, cela signifiait aussi que c’était lui qui donnait les billets à l’ouvreuse. En faisant cela il glissait aussi un pourboire substantiel dans la main de l’ouvreuse. En France, assurait-il, c’était une coutume de donner un pourboire à l’ouvreuse qui vous montrait le chemin. Il ne voyait aucune raison de changer ses habitudes sous prétexte qu’il était en Angleterre et que l’honneur de la France reposait sur ses épaules, il ne voulait en aucun cas paraître radin. L’ouvreuse désorientée n’apprécia pas son point de vue et de façon compréhensible se mépris sur ses intentions. Pour ma part je sentis que d’essayer d’expliquer la raison de son acte n’aurait fait que compliquer encore un peu plus et au mieux j’aurais été pris entre deux feux. Puisque Ibby tenait nos deux tickets je pouvais difficilement le désavouer entièrement aussi je lui parlais fort et de façon volubile en français en restant éloigné pour ne pas être considéré par l’ouvreuse comme un allié potentiel qui de plus parlait anglais. Une fois arrivé à mon siège je pensais que mes ennuis étaient terminés et que je pourrais me rasseoir et apprécier le film. Ce ne fut pas le cas. Le film était l’habituelle histoire de ménage à trois, avec des erreurs d’identité et autres quiproquos.

– Est-ce que c’est sa femme, me murmura Ibby
– Non c’est la femme d’un autre homme et cet homme a une liaison avec elle répliquai-je
– Quel autre homme ? Celui que nous voyons maintenant avec la secrétaire ?
– Non, c’étaient deux autres personnes
– Oh! Alors comment ils en sont arrivés là ? …’

Comme on peut l’imaginer ce jeu de questions réponses pouvait seulement accroître la confusion d’Ibby et conduire à d’autres questions. Les têtes commençaient à se tourner. Je perdais rapidement le fil de l’histoire que j’étais parvenu à suivre avant que mon attention ne soit distraite et à la fin je simplifiais en acquiesçant à toutes les hypothèses d’Ibby, modifiant le scénario tout au long du film, prenant des libertés sans liens avec l’histoire racontée et assurant Ibby que je ne comprenais pas moi-même la trame. Après ça j’essayai de faire en sorte de n’aller voir que des films où les bons et les méchants seraient tout à fait identifiables, et où la trame serait évidente de par elle-même. Si je devais aller au cinéma alors le western devenait mon favori.

5- Le projecteur Holman

Retournant plutôt tardivement un matin à bord, nous étions rentré de patrouille le jour avant et comme d’habitude j’avais dormis tard lors de ma première nuit à terre, je fus surpris de trouver une file de travailleurs du chantier naval assis sur le bord du quai où notre bateau avait accosté. Ils regardaient une petite partie de l’équipage travaillant sur le pont en dessous d’eux. Ils ne me dire rien alors que je montai à bord mais Ibby m’accueillit avec un large sourire quand j’atteignis sa cabine.
– Que pensez-vous de ces gens assis’ me demanda-t-il
– Qu’est-ce qu’ils sont censés faire est plutôt la question’ répliquai-je
– Ils ont amené cet ensemble pour remplacer le projecteur Holman par un canon de 37mm, répondit-il avec une moue. Les travailleurs des chantiers navals semblent être les mêmes partout.

Il me raconta toute l’histoire.
La réputation du projecteur Holman qui était monté au milieu du bateau vers l’arrière, était devenue presque légendaire dans la flottille. Il était réputé pour être une arme mortelle pour quiconque était assez fou pour s’en servir, sachant que je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui l’ai fait. Le projecteur Holman était supposé servir pour nous défendre contre les attaques aériennes à très basse altitude. Sa construction était simple, ressemblant à un mortier, consistant en un tuyau dans lequel on faisait tomber un projectile de la forme d’une boite de conserve. Quand on tirait, le projectile était éjecté de force en face de l’avion qui attaquait en relâchant, à une hauteur appropriée, une toile de fins fils pré-empaquetés dans la boite. Avec ses hélices emmêlées dans la toile d’araignée, composée de fil très fin, l’avion devait s’écraser en mer. Ou du moins telle était la théorie officielle.

Notre propre théorie était que même si le projectile était effectivement éjecté, sans provoquer une explosion fatale à bord, et même si la boite relâchait tous ses mètres de fils enroulés, alors les chances pour que l’avion se fasse piéger par les fils et s’abatte étaient assez faibles tandis que les probabilités de trouver notre propre hélice prise dans le filet, à un moment ou à un autre de notre patrouille, était très forte.

Le canon de 37mm était beaucoup plus adapté, tant pour la défense que pour l’attaque, et ceci que la cible arrive sous un grand ou un petit angle. Ibby expliqua que les canons venaient de l’armement anti-aérien du Courbet. Le Courbet était un bateau de guerre qui était déjà passé aux britanniques ou qui était déjà présent dans un port britannique au moment de la défaite de la France mais qui n’était pas prévu d’être utilisé opérationnellement. Je m’étonnai du fait que le 37 mm ne faisait pas parti de l’armement d’origine du bateau et appris d’Ibby un peu de ce qu’il y avait derrière la construction des Chasseurs.

Ils avaient été construits en France juste avant le déclenchement de la guerre semblait-il comme servant à de multiple usages, ayant un titre officiel de : Chasseurs de sous-marins, dragueur de mines, ravitailleur d’hydravion, patrouilleurs etc. etc. … En temps de paix leur principal usage se situait dans les bases d’hydravions de la Marine française où ils pouvaient sortir vers les amarrages des hydravions et gruter la nacelle qui supportait les moteurs en utilisant un derrick construit dans ce but et situé là où les canons de 37mm étaient destinés à être mis. Le moteurs des hydravions faisait alors l’objet d’une maintenance sur le pont des Chasseurs ou étaient renvoyés à la base pour révision si nécessaire.
Entre temps les ouvriers des chantiers navals étaient toujours assis en rang sur le quai. Ils étaient arrivés peu de temps avant moi pour réaliser le remplacement du projecteur Holman par le canon de 37 mm, un travail qu’Ibby estimait pouvoir être réalisé confortablement par trois ou quatre hommes incluant le superviseur. Il n’avait pas tenu compte de toutes les compétences spécialisées impliquées dans les tâches de déboulonnage, d’enlèvement puis du reboulonnage, à sa place, d’un autre élément similaire, ni des ressources pour gérer la multiplicité des tâches, ceci étant perçu par l’artisan comme absolument nécessaires. Choqué par cette foule d’ouvriers envahissant le pont mais incapable de les renvoyer de crainte de générer des troubles dans cette industrie il avait fait le compromis suivant avec le contremaître : si les ouvriers acceptaient de s’asseoir sur le mur et de superviser le travail, pour la durée convenue, alors le travail serait fait de façon qui lui convenait par les membres de l’équipage. La solution convint à toutes les parties concernées et fournit à Ibby un sujet de conversation pour quelques temps.

6- Les conserves


En dehors de nous fournir un canon de 37 mm avec une quantité de munitions correspondant à nos futures besoins, le Courbet fournissait aussi une grande quantité de conserves et une généreuse réserve de vin rouge ou ‘pinard’, l’énergie vitale de la marine française ! Dans le but de ne pas trop toucher aux ressources financières limitées des FNFL, on nous avait demandé autant que possible de prendre nos approvisionnements sur le Courbet. L’un de nos aspirants qui avait la responsabilité des approvisionnements de notre bateau fut envoyé sur le Courbet pour passer ses commandes. C’était en priorité pour nos approvisionnements de vin rouge et de bœuf en conserve, l’équivalent français de notre “corned beef” connu par les troupes sous le nom de “singe”. Tandis qu’il était sur le Courbet il décida d’inclure des soupes de tomate en boite qui étaient disponibles et un nombre équivalent de boite de sardines. Ibby approuva cette initiative qui pourrait permettre de varier un peu le menu lorsque nous étions en mer, du moins jusqu’à ce que les magasins vinrent à livrer. La douzaine environ de boites de soupe et de sardines qui avaient été commandées s’avérèrent être un nombre de caisses, du même article chaque caisse contenant plusieurs douzaines de boites. A partir de ce moment et avec nos finances qui étaient épuisées, nous eûmes des sardines comme hors d’œuvre à chaque déjeuner et nous revenions de chaque patrouille après un repas qui avait commencé par une soupe de tomate. Cet état de fait aurait pu continuer pendant un moment mais s’arrêta brutalement quand l’aspirant en question se présenta à la cabine du capitaine un matin très en colère. Il revenait de la ‘cambuse’, ou magasin du bateau qui fournissait les rations pour le déjeuner de l’équipage. Comme de coutume il prenait chaque boite de l’armoire et la jetait au marin sur le pont au travers de l’écoutille qui était ouverte, Ce dernier habituellement attrapait chaque boite et la transférait dans le sac qu’il avait à côté de lui. Ce jour-là, cependant il attrapait chaque boite quand elle lui arrivait du magasin, la regardait avec dégoût et la lançait négligemment par-dessus bord. – Et que pensez-vous que vous êtes en train de faire ? demanda l’aspirant – Balancer les boites par-dessus bord, fut la réponse immédiate et sans équivoque et si vous voulez monter et intervenir et je vous balancerai aussi. A ce moment-là je dois dire que nous étions amarrés à Yarmouth entre des sorties en patrouilles. Quand un certain temps se fut écoulé et que la cote se fut éloignée, le jeune aspirant plutôt effrayé était sorti de la cambuse pour aller demander son avis à Ibby. – Qu’est-ce qu’il y avait dans ces boites de conserve ? demanda précisément Ibby. – Des sardines” répondit-il piteusement. Si Ibby ne pouvait pas approuver le gaspillage de nourriture ou le manque de discipline il pouvait comprendre le ressenti de l’équipage et il était aussi satisfait que l’aspirant ait maintenant compris la leçon, que les pairs de l’aspirant aurait été, dans leur jugement, plus dur avec lui qu’Ibby ou que les matelots. Le matelot concerné fut dument réprimandé et l’ensemble des matelots n’eurent pas de hors d’œuvre ce jour-là de plus le capitaine pris la décision d’une dépense supplémentaire venant du compte du bateau et notre régime devint de nouveau plus varié.

7- Saccone et Speed

Le même aspirant eut la responsabilité d’organiser une quête à bord au profit de l’équipage. Ibby voulait mettre en place un petit fond sur lequel il pourrait compter pour des dépenses spéciales qui pourraient survenir. L’approche des fêtes de Noël était un de ces cas et l’argent nécessaire pour financer le fond provenait pour la plus grande partie d’une légère taxe sur le prix des cigarettes vendus à l’équipage en duty-free. De plus la fourniture de quelques articles devait être prévue. En plus de la possibilité pour le bateau d’avoir des cigarettes en duty-free Ibby et moi-même avions l’autorisation d’acheter une certaine quantité d’alcool chaque mois. Comme je n’étais pas spécialement intéressé ni par coût ou la consommation de mon allocation nous arrivâmes à un arrangement mutuel et agréable où Ibby commandait une double allocation pour lui-même chaque mois ainsi qu’une douzaine de bouteille de jus de citron vert Rose sur mon compte chaque fois que je le lui demandai. S’il avait besoin d’une bouteille de jus de citron vert je la lui fournissais de mon stock et réciproquement si pour une occasion spéciale j’avais besoin d’une bouteille de sherry ou de whisky. Sur la base de la double ration Ibby anticipa qu’il devrait bientôt acquérir une armoire pour stocker correctement le vin et les alcools; sa ‘bibliothèque’ comme il l’appelait. Il était aidé pour cela par le fait que nous avions découvert que le Rhum de la Navy, la livraison duquel était sujette à des contrôles très rigoureux dans la Navy, pouvait être commandé par litre sur nos listes d’achats presque qu’aussi facilement que, disons, un sac de pomme de terre et qu’il n’avait pas à rendre de compte sur son utilisation. Quand Ibby arriva au port il prit avec lui l’aspirant pour l’introduire auprès de l’équipe de “Saccone et Speed” les marchands qui nous fournissaient en duty-free. A partir de là ce fut l’aspirant qui géra nos affaires avec eux, sous la responsabilité du capitaine. Tout se passait bien. Nos fournitures duty-free étaient livrées comme commandées suivi bien sûr de la facture avec la date du règlement. Avant d’envoyer seul le jeune aspirant avec le montant de la facture à payer sur lui, Ibby le pris à part. En France, expliqua-t-il, il était d’usage dans de telles circonstances, quand on payait rapidement la facture et en argent liquide, de demander un petit rabais. Il pensa que cela valait la peine de vérifier si c’était le cas à Portsmouth et un chiffre arrondi à la baisse fut agréé comme base de ce qui devait être donné comme paiement pour la facture. L’aspirant revint plus tard de sa visite à MM Saccone et Speed avec un visage satisfait. ‘Comment cela s’est-il passé’ demanda Ibby. ‘Très bien’ répliqua l’envoyé. Ils m’ont reçu dans le même bureau, m’ont donné un verre de sherry, et quand je leur ai demandé s’ils étaient d’accord si je payais seulement le montant agréé ils ont accepté sans discuter, m’ont donné un reçu et après avoir pris ma commande pour le mois suivant, nous nous sommes serrés les mains et je suis parti. Une fois définie, la routine fut répétée de façon satisfaisante à chaque paiement de facture jusqu’à ce que j’arrive un matin trouvant Ibby m’attendant avec une lettre à la main et ayant une mine inquiète. ‘Ah, Monsieur Bellis’ s’exclama-t-il quand il me vit ‘pouvez-vous m’expliquer ce que cela signifie ?’ Il me montra une lettre qu’il avait reçue de MM Saccone et Speed dans laquelle, très poliment, ils attiraient son attention sur le fait que le bateau accroissait sa dette envers leur entreprise sans signes qui indiquerait qu’il y avait une intention de la réduire. – Mais on ne peut pas leur devoir quelque chose’ affirma Ibby avec véhémence. ‘Nous avons payé toutes nos factures quand elles sont arrivées à échéance. J’ai eu leurs reçus ! – Vous ont-ils envoyé quelques relevés avant ?’ Demandai-je – Bien sûr, dit-il, ils m’en ont envoyé chaque mois, je les ai ici. Il me montra une petite liasse de relevés que nous avons lus ensemble avec attention. C’est sûr, tout était là. Il y avait les montants pour lesquels nous avions été facturés, les montants payés et malheureusement ce qui était impayé et restait encore dû. Quand Ibby avait vérifié le premier relevé et les chiffres étant en ligne avec son propre arrondi, il avait mal compris le non payé qu’il avait compris comme étant son discount. Une fois satisfait que tout fonctionnait bien il avait prêté moins d’attention aux relevés conséquents et n’avait pas remarqué que son ‘discount’ grossissait à chaque relevé du fait que sa dette augmentait. Il réalisa alors que même si les marchands britanniques étaient vraiment prêts à arranger raisonnablement leurs clients, la méthode française de marchander le montant à payer ne fonctionnait pas à Portsmouth.

8- Une odeur de cigarette

En mer, la patrouille QU devint une routine. Après notre ajustement non officiel par rapport à l’itinéraire de patrouille loin de la ‘boucle’, nous n’eûmes plus d’ennuis à cet égard. Le temps variait considérablement mais quand il était trop mauvais nos patrouilles étaient annulées avant que nous ayons appareillé et une fois en mer nous n’avons jamais eu un temps si mauvais qu’il nous aurait obligé de retourner à Yarmouth. Cela ne veut pas dire que le temps était beau. J’avais eu un aperçu du mal de mer sur le Teviobank, mais la réaction des Chasseurs au mauvais temps était à un niveau qui lui était propre et même si j’avais acquis un certain degré d’immunité, je continuai à en souffrir durement. Au moins ma technique pour l’affronter s’était améliorée. J’appris à ne pas tenir ma tête par-dessus bord mais à la tenir bien haute avec la bouche grande ouverte, de façon à ce que l’arrière de mon nez et de mes narines évitent le pire de l’explosion quand j’en souffrais. Je compris le besoin de mâcher la nourriture suffisamment .Prendre soin de mon tube digestif était à cet âge le moindre de mes soucis. Mais je trouvais que rien n’était pire que de souffrir du mal de mer pendant la plus grande partie de la nuit avec la moitié d’un haricot cuit coincé à l’arrière de chaque narine. Comme nous quittions notre mouillage pour nous rendre aux Needles je choisissais, dès que nous avions quitté le Solent, un moment opportun pour me glisser en bas dans la cabine du capitaine pour vérifier la carafe pour décanter le vin ou la bouteille de rhum qui avaient été laissées sur la table pour nous par le maître d’hôtel après qu’il eut nettoyé les restes de notre repas du soir. Plus d’une fois il les oublia au moment où il retournait à ses habituels devoirs de marin avec comme résultat que le tapis de la cabine était imbibé de vin ou du rhum dès que nous quittions le Solent du fait d’une bouteille qui n’avait pas été correctement rebouchée ou arrimée dans son rack. Ibby ne quittait pas très souvent la passerelle durant ces premiers mois, mais quand il descendait à la cabine pour une quelconque raison il en profitait pour fumer rapidement. Incapable d’avoir ses Gauloises préférées il avait trouvé que le meilleur substitut était de rouler ses propres cigarettes, utilisant deux feuilles « RIZ LA+ » du tabac à l’odeur horrible qui convenait à son goût. Cependant durant ses brèves visites à la cabine au cours d’une patrouille il n’avait pas de temps pour de tels plaisirs. Il allumait une cigarette venant du paquet le plus proche des ‘ticklers’ ou des duty free qui traînaient partout dans la cabine. Comme il se déplaçait dans la petite cabine, de la table au bureau puis aux cartes étalées sur le dessus de la couchette ou s’il se passait rapidement vers la salle de bain adjacente, il se retrouvait sans cigarettes et en rallumait une nouvelle pour quelques bouffées jusqu’à ce qu’il bouge de nouveau. Normalement ses gauloises ou ses propres cigarettes roulées avec du tabac à pipe s’éteignaient d’elles-mêmes dès qu’elles étaient abandonnées un moment ; ce n’était pas le cas pour les cigarettes ticklers qui continuaient à brûler jusqu’à se consumer entièrement. L’odeur de cigarettes qui se consument toutes seules était une de celles qui me dégoûtait le plus et particulièrement dans cet espace confiné, dans lequel nous mangions, vivions et dormions tandis que nous étions amarré à Yarmouth mais en mer et sensible à de telles odeurs, je m’arrangeais, dès que Ibby réapparaissait sur la passerelle, pour trouver une excuse lié à mon état de santé pour faire une courte visite à la cabine de façon à éteindre toutes les cigarettes qui se consumaient. Une odeur qui ne pouvait être évitée était celle des cirés qui pendaient à l’intérieur de la cabine, sur la porte au-dessus du petit radiateur qui servait à chauffer la cabine. J’ai constaté à ma grande consternation que la mémoire de cette odeur m’est restée bien après que j’ai quitté les Chasseurs, et aussi qu’après que la guerre soit finie. J’ai eu l’occasion de visiter Gamages en Holborn avec un collègue quand je travaillais à Londres après la guerre. Il avait entendu dire qu’une vente de surplus gouvernementaux de guerre se tenait là-bas et il souhaitait pour son épouse un pardessus Wren. Comme tous les vêtements étaient rationnés avec des tickets et de qualité douteuse, une telle vente était une bénédiction pour les femmes. Les ventes étaient à l’étage supérieur du bâtiment avec des monticules de surplus gouvernementaux sur le plancher. Les pardessus Wren étaient à l’autre extrémité de ces tas. Comme on en approchait je dus m’excuser auprès de mon ami et lui dire que je l’attendrai à l’extérieur de la porte principale. Quand il me rejoignit il me taquina sur le fait que je n’osais pas acheter des vêtements pour femme. La vérité était que juste avant d’atteindre les pardessus nous sommes passés devant une pile de cirés également en vente, et l’odeur piquante qui en sortait m’avait tellement retourné l’estomac que j’avais trouvé bon de retrouver l’air frais dès que possible.

9- Patrouilles QU

Chasseur en patrouille durant l'hiver 40/41 Mais retournons aux patrouilles QU et au Chasseur 10. Si l’arrivée du beau temps m’avait soulagé du mal de mer cela signifiait que l’on souffrirait fréquemment du brouillard ou de la brume de haute mer durant tout ou partie de la nuit. Ces conditions auraient pu favoriser les intentions des allemands de débarquer et nécessitaient une très grande attention de la part des vigies. Aucun débarquement ne survint mais Ibby était préparé à faire le plus qu’il pouvait. Il avait une paire de boites de grenades à main, ouverte sur la passerelle ; dans de telles occasions il pensait que si on se retrouvait au sein d’un débarquement il pourrait les jeter depuis la passerelle dans le caisson d’une péniche de débarquement. Il avait aussi couvert le bastingage autour de la partie principale de la passerelle avec une lourde protection en toile (canvas dodgers) qui était de la même couleur ‘gris bateau de guerre’ que le reste du navire. Cela donnait aux vigies et aux mitrailleurs une certaine protection contre les éléments mais leur apparence solide donnait aussi une fausse impression de sécurité.

Passerelle d'un chasseur Malgré tout s’habiller pour ces nuits froides, pour lesquelles à ce moment-là un watchcoat standard était notre seule protection officielle, se faisait avec précaution. Parmi les nombreux tricots déformés qui nous étaient envoyés en tant que ‘confort pour les troupes’ par pure charité, il y avait quelques articles qui convenaient parfaitement, parfois en vertu de leur forme étrange. Ginger en avait un ensemble particulièrement utile comprenant un sur pull de laine épaisse qui lui arrivait jusqu’aux genoux et une paire de bottes de marin qui lui arrivaient jusqu’aux cuisses. Une fois sur lui, et fermés avec des épingles de sécurité ou même assemblés à des endroits stratégiques il avait comme une gaine de laine le couvrant des pieds à la tête. Mon article le plus prisé était une longue et large écharpe que j’avais reçue de ceux qui organisaient le confort dans mes anciens bureaux du cadastre. Elle avait été joliment tricotée et était je pense le travail d’une vieille dame de plus de 80 ans. J’ai toujours eu un peu honte et été désolé de ne lui avoir pas envoyé une lettre de remerciement via le bureau. L’écharpe partait du milieu de ma poitrine, passait sur ma tête sous ma cagoule, entourait mou cou et revenait au travers de ma poitrine, fermant tous les endroits ouverts aux courants d’air dans cette zone. Normalement on pouvait conserver les extrémités au chaud mais à la fin de la nuit le froid pénétrait jusqu’aux os dans la zone entre les genoux et la taille. Ibby me salua un soir avec beaucoup de plaisir en ayant trouvé une solution à son problème grâce aux matériaux dont on disposait. Il avait un second grand manteau lié à ses bras autour de ses poignets sous celui qu’il portait d’habitude et qui agissait comme une longue et volumineuse chemise. – J’ai toujours été navré pour les dames devant marcher dans le froid avec seulement une jupe pour protection, m’assura-t-il, mais je commence à penser que ce n’est pas si mal après tout. J’essayais son innovation et trouvais que cela fonctionnait parfaitement. Si quelqu’un nous avais vus, nous devions ressembler à une foule bariolée mais en ce qui nous concernait la fin justifiait les moyens. …


RNVR Nigel Bellis

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