Article paru dans la revue « Marine Nationale » de Mars-Avril 1944 (pages 19-20).

le numéro de 'Marine Nationale' de mars-avril 1944
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Jour et nuit, nos unités légères : chasseurs de sous-marins, vedettes, patrouilleurs de toutes sortes, assurent la défense de nos ports et de nos convois. Tâche pénible et obscure, mais essentielle... Et c’est sur ces petits bâtiments que le marin forge son âme... Le récit qu’on va lire montre la vie de nos chasseurs.

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Un peu avant le coucher du soleil, les amarres avaient été larguées et, après avoir manœuvré en arrière pour se dégager, nous étions sortis doucement de la passe, les deux moteurs « en avant lente ». Nous avions mouillé à quelques encablures de là, en rade foraine, mais bien abrité du vent. C'était tout pour ce soir. Le lendemain matin, à l'aube, nous devions partir en opérations. « Il n'est pas certain que nous appareillions demain, me dit le commandant lorsque je descendais dans son appartement où le dîner nous attendait. Le baromètre baisse terriblement. Vous verrez, on va nous faire rentrer. Comme si nous étions des petits garçons. Le repas n’était pas encore achevé, lorsqu’un timonier entra et tendit un message. « Ca y est ! » S’exclama le commandant, en me montrant le bout de papier. « Return to base », y était-il écrit. Ce ne fut que partie remise. Je réembarquai deux jours plus tard. Mais j'avais mis à profit le loisir qui m'avait été accordé pour bavarder avec les uns et avec les autres. C'est ainsi que j'appris, par bribes, l'histoire passionnante du Groupe de chasseurs de sous-marins, histoire si étroitement liée aux opérations de Hollande, à la campagne de France et à la bataille d'Angleterre.

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Ces chasseurs sont d'un type récent. Lancés au début de la guerre, ils furent mis en service à partir de janvier 1940. Leurs caractéristiques les rendent aptes à toutes espèces de missions. Au fur et à mesure de leur achèvement, ils étaient envoyés à Dunkerque, où on les employait principalement au dragage de mines. Mais dès le premier jour de la ruée allemande vers l'Ouest, ils abandonnent leur travail de routine. Le 10 mai 1940, ils appareillent avec les bâtiments transportant le Corps expéditionnaire français en Hollande. Arrivés là, ils pénètrent à l'intérieur des canaux de la Zélande pour ravitailler les chars en essence. Les Hollandais les accueillent avec sympathie. Provisions, cigares, sucreries affluent à bord. On leur fournit même des matelas qui, apposés contre les rambardes, constituent une excellente protection contre les balles et les éclats d'obus. Partout, à leur passage, de braves gens crient: « Vive la France ». A cette époque de l'année, le pays est magnifique: des champs de tulipes s'étendent à perte de vue. Nos marins regardent défiler les rives des canaux, « comme s'ils étaient dans un train ». Les opérations tournent mal. L'armée demande aux chasseurs « l'appui de leur artillerie ». Le 17 Mai au Nord de l'Ile Walcheren, les Chasseurs 6 et 9 rencontrent un patrouilleur allemand et le coulent. Puis, les Chasseurs 6, 9 et 41 bombardent le canal de l'île Beveland pour protéger le repli français. Toutes les unités se concentrent ensuite à Flessingue pour évacuer les troupes vers Breskens. L'embarquement a lieu sous le feu ennemi. Trois cents soldats se serrent à bord de chaque bâtiment. Le lendemain, 18 Mai, le « 41 » encaisse deux obus. Son Commandant est blessé, mais il ramène son chasseur à Dunkerque. " Dunkerque, Fécamp, l’exil ...

La campagne de Hollande terminée, les chasseurs reviennent à leur base, Les équipages, déjà épuisés par dix jours de combats presque continuels, subissent l'enfer de Dunkerque. Jour et nuit, les hommes restent rivés à leurs postes de D.C.A. Une bombe touche le « 9 » et le coule. Tous les chasseurs participent aux opérations d'évacuation. Deux jours à Douvres juste le temps de souffler et ils repartent pour le Havre où, de nouveau, on les emploie à évacuer la population civile vers Honfleur. Le Chasseur 6, envoyé en reconnaissance à Fécamp, engage le combat avec des chars. Touché, il revient à deux nœuds à Cherbourg, où on le répare. Le 18 Juin, il faut encore quitter Cherbourg. Les Allemands sont aux portes de l'arsenal. On embarque les personnes qui se présentent et tout le groupe: appareille pour Portsmouth.., Mais la guerre continue…

Le 11 Septembre 1940, les Forces Navales Françaises Libres réarment les chasseurs 41, 42 et 43. Le 21 Octobre, le pavillon français est hissé à bord du Chasseur 10 et, bientôt après, sur tous les autres. Pendant l'hiver 1940-1941, nos chasseurs font un métier de chien : patrouilles, escortes de convois sur Douvres et, au port, ils participent, avec leur D.C.A à la bataille qui se livre dans le ciel d'Angleterre. S'imagine-t-on ce que représentait, alors, un convoi sur Douvres ? Il fallait naviguer de nuit dans des chenaux étroits encombrés d'épaves avec de chaque côté, des bancs de sable, des champs de mines. Dès que l'aviation ennemi repérait un convoi cela ne tardait guère les bombardiers arrivaient par vagues successives. Souvent l'artillerie de côte et des « E-boat » venaient à la rescousse. Ajoutez à cela le mauvais temps qui parfois arrachait ou tordait les rambardes et vous aurez une idée encore imprécise de ce qu'il fallait endurer. Aucune possibilité de manœuvre. On disait: « A la grâce de Dieu » et l'on allait à la queue leuleu. L'étonnant c'est qu'on réussissait à passer...! Deux avions abattus en mai 1941 et mai 1942. En Mai 1942, les Chasseurs prennent part à l'opération combinée sur Bruneval. En août 1942, c'est Dieppe. La mission principale des chasseurs consistait à escorter les « barges » le plus près possible de la côte et à les protéger par le tir et par des rideaux de fumée. Mission périlleuse, des canons, camouflés dans les falaises tirent presque à bout portant. Il faut manœuvrer sans cesse pour esquiver les coups. Pendant les sept heures que dure le raid, les Français font preuve des meilleures qualités professionnelles d'endurance et de cran. Ils se portent aux endroits les plus exposés pour assurer au mieux l'exécution de leur mission. Le Commandant du « 13 » est blessé. Deux matelots réparent quatre fois leur canon avarié sous le feu nourri de l'ennemi. Sur quelques poitrines, à côté de la Croix de guerre française est venu s’ajouter le ruban bleu et blanc de la « Distinguish Service Cross ». Mais pour une de ces opérations-là, combien de dizaines, de centaines d'autres passées en vaine attente !... A la base.

Pour que les bateaux marchent, il faut également des services à terre. Le Groupe possède sa base propre. Elle dispose d'un bâtiment dépôt, d'une cale sèche, d'ateliers de réparations, de magasins et de bureaux. Les chasseurs accostent aux pontons qui se trouvent à proximité. On se croirait réellement en terre française dans ce coin d'arsenal britannique. A l'heure des permissionnaires, un flot de bonnets à pompons rouges déverse dans les rues étroites de la petite cité maritime anglaise. Les habitants se sont, depuis longtemps, habitués à eux, les aiment et les accueillent, dans leurs petits cottages en briques rouges. Un peu avant la rentrée, nos marins se retrouvent dans quelque « pub » (bistrot), près du port. Beaucoup se marient. Il existe là-bas une vingtaine de familles franco-anglaises très heureuses. L'Aumônier des Chasseurs bénit les unions, baptise les enfants. Le moral des officiers et des équipages est remarquablement, élevé. Tous attendent avec impatience de débarquer en France ; « et les premiers », m'a-t-on dit sur un ton n'admettant pas de réplique. Ils ne l'auront pas volé.