Récit

La base des Chasseurs à Cowes

Marvin's Yard avant les bombardements

Les Chasseurs de sous-marins avaient été saisis par les britanniques fin Juin 1940 lors de l’opération Catapult. Ils avaient été rapidement armés par des équipages britanniques et participaient à la protection des côtes en effectuant des patrouilles. Parmi ceux-ci les Chasseurs 6 et 7 seront coulés en octobre 1940 lors d’un engagement contre des torpilleurs allemands. Peu à peu les FNFL se mettent en place et les britanniques mettront à leur disposition des bateaux. En septembre 40, ils rétrocèdent les premiers Chasseurs de sous-marins aux FNFL. Il s’agit des Chasseurs 41, 42, 43.

1-Retrocession des Chasseurs aux FNFL

En septembre l’ingénieur du génie maritime P Durand fit une courte inspection du Chasseur 10 qui était alors exploité par les anglais. Mi-octobre ce Chasseur sera armé par le premier maître de manœuvre Ibarlucia. C’est le commandant Kolh-Bernard qui a convaincu Muselier d’armer les Chasseurs. Kolh-Bernard parlant anglais réussit ensuite à convaincre les britanniques de l’intérêt d’armer ces bateaux. C’est lui également qui s’occupera de la constitution des premiers équipages. Dans un premier temps les Chasseurs auront leur base à Portsmouth en couple du Courbet. Ce mouillage présente des inconvénients, en effet les bombardements sur Portsmouth par l’aviation ennemi sont incessants et les équipages après des patrouilles éprouvantes ont du mal à se reposer.
Rapidement l’utilisation d’une base des Chasseurs à Cowes sur l’île de Wight fait son chemin. Ce sera chose faite début 41. Les Chasseurs y seront non seulement protégés des bombardements mais agiront aussi en grande autonomie. C’est un chantier de construction de bateaux de plaisance qui sera choisi : Marvin’s Yard.(photo ci-dessus)

Marvin's yard en 1932

Ci-dessus une vue de Marvin's Yard avant guerre.(cliquez sur l'image pour être dirigé sur le site de britainfromabove voir l'image originale).

Il est possible de visiter virtuellement ce qui reste du chantier de Marvin's Yard. ( ou plutôt Coles Yard au moment de la guerre, le chantier ayant eu plusieurs propriétaires). George Henry Marvin était celui qui avait construit ce chantier naval en 1885. le chantier à l'abandon

2-Cowes-Marvin's Yard (Coles Yard)

Cowes se situe face à Southampton, sur l'ile de Wight, sur la côte sud de l'Angleterre. La ville a été construite sur la rive ouest de l’estuaire de la Medina qui l’arrose. Sur la rive opposée on trouve la ville d’East Cowes. Aucun pont entre les deux villes et il faudrait descendre sur Newport pour passer d'une agglomération à l'autre s’il n’existait le « Cowes ferry ». Ce dernier est en fait une vaste barge actionnée par des chaînes qui relient les deux rives. On le connaît aussi sous le nom de « Chain ferry » ou de « Floating bridge », pont flottant. Il assure une liaison régulière tout au long de la journée. Au moment de la seconde guerre mondiale c’était le « bridge n°.3 » qui était en service.

Un peu plus loin en aval sur la Medina on trouve une grue géante de 80T installée en 1912 sur le site des chantiers J.Samuel White. C'est en Angleterre la dernière grande grue construite avant la guerre de 14 qui soit encore intacte.


La grue "Hammer Crane" en 2017.

La grue "Hammer Crane" de nos jours, en cours de restauration. Elle fait partie du patrimoine historique de Cowes.


Cowes possède à cette époque des chantiers navals construisant des yachts, des bateaux de plaisance, des navires de guerre. Le principal chantier est le chantier J. Samuel White qui est présent sur le site depuis 1802. Ses ateliers se situent tant sur la rive ouest que sur la rive est. Les bateaux étaient construits sur la rive est et les modifications faites sur la rive ouest. Cette entreprise employa jusqu’à 3500 ouvriers et construira 26 destroyers pendant la seconde guerre mondiale.

Encore plus loin, à hauteur des chantiers de Marvin's Yard, se trouve  un trois-mâts du nom de Phantom II qui est sur une zone d'échouage en attente, il y restera jusqu’en 1952, moment où il sera racheté par la fondation Cini. Pendant le conflit ce navire servira un temps de quartier général des Vedettes rapides des FNFL. Il ne sera que peu endommagé par les bombardements allemands. Ce Phantom II est en fait l’ancien Belem construit en 1896, il reprendra ce nom bien après la guerre en 1980.
Si on continue sur la rive ouest la rue Artic Road qui longe la Medina, on arrive à l’aplomb de Marvin’s Yard. Ce dernier était un chantier naval possédant une cale sèche construit en 1885 par George Marvin. Les bâtiments qui constituaient le chantier naval dataient d’avant la guerre de 14 et étaient construits tout en bois et en tôles. Il n’y avait pas sur place, en cette année 1941, de commodités pour les marins comme les dortoirs ou des douches. La base se mettra peu à peu en place et en mai 41 elle sera opérationnelle avec, comme dépot des équipages, la Diligente. A partir de son installation les marins logeront sur cette ancienne canonnière qu'était la Diligente.

La Diligente était une ancienne canonnière mise en service en 1916 qui à partir de 1939 servira de ravitailleur d'hydravion. Suite aux évènements de Dunkerque elle se rendra en Angleterre pour être amarrée à Cowes. (source wikipédia)

Une infirmerie sera installée sur le Chasseur 106 qui viendra compléter la base en avril 1942. Le Chasseur 106 avait quitté Cherbourg mi-juin 40 et s'était retrouvé à Cowes pour maintenance.
Il faudra attendre les bombardements de Cowes en mai 1942 pour que de nouveaux bâtiments soient construits et qui eux possèderont dortoirs et douches. Pour l’instant les hommes sont autorisés, une fois par semaine, à se rendre aux bains publics.
 

Marvin's Yard :zone qui sera bombardée
Base de Marvin's Yard avant guerre. La zone entourée de rouge fut détruite lors des bombardements de mai 1942. L'entrée de la base se faisait via Artic Road (au niveau de la flèche bleue). Plus tard des bureaux FNFL seront installés dans le bâtiment marqué d'une croix bleue (à hauteur des actuels bâtiments de l'UKSA). Le bâtiment que l'on aperçoit à côté d'une cheminée ( à hauteur de la cale sèche et en contre-bas d'Artic Road) est toujours visible de nos jours. Lors de l'installation du slipway à la fin du 19eme, le treuil était actionné par un moteur à vapeur d'où la cheminée qui servait pour la chaudière.
Vue de Marvin's Yard de nos jours en 2017.
Marvin's Yard en 2017, la cale sèche tout au fond

En ce début 1941 les Chasseurs sont en carénage à Cowes. Il s’agit de mettre à jour l’armement, d’installer des boucliers de protection pour les mitrailleuses et le canon de 75mm. Ce dernier ne sera pratiquement jamais utilisé du fait de sa lenteur à être rechargé et de sa toute relative précision. Un nouvel équipement se développe en ce début de guerre, il s’agit de l’ASDIC, ancêtre du sonar. Les travaux avaient commencé en 1918 au travers d’un comité le « Anti Submarine Detection Interallied Comitee ». Ce système utilise un quartz pour émettre (et recevoir) une onde ultra sonore qui, frappant la coque d'un éventuel sous-marin, est renvoyé en écho vers le bateau qui en est équipé. C’est encore un système rudimentaire, la détection d’un sous-marin est très dépendant de l’état de la mer et de la vitesse du bateau. Sur les Chasseurs, l’ASDIC installé sera fixe, autrement dit le faisceau d’onde ultra sonores est envoyé dans une direction fixe par rapport à la coque du Chasseur. Il faut donc manœuvrer le bateau pour balayer un angle important. Quand on sait qu’un sous-marin présente un angle d’environ deux degrés s’il est à 1 mille marin (1852m) on se doute de la difficulté que représentait la détection d’un sous-marin et encore plus de son suivi. D’autre part dès que la mer est un peu formée il devient inutilisable, de même si la vitesse du Chasseur est trop grande. Pourtant la vitesse moyenne du Chasseur est relativement faible avec ses deux moteurs 6 cylindres de 560CV chacun. Par mer calme le Chasseur peut atteindre 14n50 mais dès qu’il y a un léger clapot il est nécessaire de ralentir le bateau pour éviter qu’il n’embarque des paquets d’eau.

Chasseur10
Chasseur 10 "Bayonne"
La photo du Chasseur 10 a été prise fin 40, début 41 à Portsmouth. En effet la tour ci-dessus est présente au fond de la photo juste comme un détail ! C'est en me promenant à Portsmouth, pendant le voyage à la mémoire des Marins de la France Libre, que je suis tombé dessus. Il s'agit de la "Holy Trinity Church" de Gosport. Cette dernière fait juste face à l'ancien Portsmouth.

L’ASDIC sera posé sur le Chasseur courant mars/avril 1941. Les hommes partiront à Cambelton en Ecosse pour effectuer leur stage.

L’organisation laisse encore à désirer d’où des plaintes de retard dans le courrier. Dans le rapport de Max Ibarlucia, commandant du Chasseur 10, en date du 1er avril 1941 on peut lire :

"Un très grand retard dans le courrier est à signaler et très souvent il arrive que la date à laquelle on doit répondre à certaine circulaire est déjà passée au moment de la réception du courrier."

Au chapitre discipline: 1- Equipage, discipline, tenue, valeur du personnel

"Quoique formé de gens qui viennent de la marine de commerce ou directement du civil l’équipage est très discipliné. Tous ont leur habillement au complet et ont une très bonne tenue. Tous ont aussi de bonnes qualités professionnelles qu’ils ont acquises à bord pour la plupart. "

"Equipage très discipliné" ; ceci semble exagéré selon les critères habituels en vigueur dans la Marine, en effet dans son rapport de mars 1941, J Parc commandant du Chasseur 42 rédigeait le commentaire suivant :

  " Les relations des hommes avec leurs supérieurs sont très correctes. Il semble toutefois que les marins des F.N.F.L. aient tous plus ou moins tendance à s'abstenir de prendre une attitude militaire dans leurs rapports avec leurs chefs. "

 Joseph Parc y a mis les formes pour indiquer que les marins ne saluaient pas leurs officiers. Il faut considérer que les marins des FNFL étaient des volontaires qui venaient pour une grande partie soit de la marine marchande soit du civil et n’étaient pas très enclins à respecter des codes qui avaient cours dans la Marine Nationale. Lors d’une sortie en ville l’équipage du Chasseur 10, comme on le verra plus tard, sera sanctionné pour ce motif. Dans la pratique la hiérarchie mettra ensuite de l’eau dans son vin et fermera les yeux sur certaines attitudes, à la guerre comme à la guerre …

Dans ce même rapport Joseph Parc n’hésite pas à mettre en avant l’esprit de l’équipage quitte à en rajouter un peu :

"L’état d’esprit de tous est excellent, les hommes possèdent tous en général un cran magnifique et un potentiel combatif élevé. Chacun désire ardemment le combat et se distinguer. L’équipage écoute fidèlement la B.B.C. de Londres, les discours du général de Gaulle constituent un véritable stimulant pour tous "

 Concernant l’intendance, les commandants des Chasseurs se plaignent parfois de leur solde en arguant que la présence d’un officier de liaison britannique les oblige à un certain train de vie. Les frais de missions s’élevant à 3£6d sont considérés comme insuffisants du fait du petit nombre de restaurants restant après les grands bombardements. Au mois d’Avril 1941 la majeure partie des vivres sont achetés sur place. Le personnel de bord effectue lui-même les réparations des moteurs tant auxiliaires que principaux. Des anomalies existent quant aux montant des frais selon le grade, un premier maître (donc des commandants des Chasseurs par exemple) touche moins qu’un aspirant. Il existe des différences dans les primes suivant les spécialités ce qui entraîne du mécontentement. Il est suggéré d’établir une prime unique. Ces détails d’intendance sont à ne pas négliger de façon à éviter des tensions inutiles.

Chasseur en opération
Le Chasseur 10 en opération durant l'hiver 1940-1941, avec le canon de 75mm.
Le chasseur 10 vers fin 1940. On peut voir sur cette photo la protection de la passerelle.

En ce mois d’avril 1941 les tenues des marins qui jusque-là étaient assez disparates vont nettement s’améliorer. La photo ci-dessus et à gauche est prise sur le Chasseur 10 en fin 1940, début 41. On peut situer dans le temps cette photo car le bouclier de protection du canon de 75mm n’est pas présent, or celui-ci a été posé début 41. Les tenues ne sont pas encore très réglementaires à cette époque.

Le canon que que l'on peut voir est un canon de 75mm, canon qui ne servira pratiquement pas durant le conflit. Plus tard, durant les travaux de carénage début 1941, un bouclier de protection sera installé devant ce canon. Cet hiver aura été particulièrement rigoureux.

3-Equipage du Chasseur 10 Bayonne début 1941

Commentaires et souvenirs de Pierre l'Hours

« Au début en 40 (octobre) la paye n’était pas bonne mais la nourriture était suffisante, personnellement je suis arrivé à Portsmouth le 21 octobre 40 avec 50 livres sterling, une fortune à cette époque, sept semaines de salaire de la marine marchande hollandaise. Ayant embarqué sur un de leurs cargos à Brooklyn, New York le 1er septembre destination l’Angleterre »
« Nous arrivions des quatre coins du monde si on peut dire, les deux seuls qui arrivaient du même bâtiment, le sous-marin Protée basé à Alexandrie en Egypte, étaient mon quartier maître de quart Louis Dulac et le radio Hunziger, un bon lorrain. »
« Nous avions avec nous un mécanicien, Abel Ange, qui en temps de paix travaillait à l’arsenal du Havre, il était si malade qu’il a fallu le débarquer et lui trouver un poste à terre dans nos ateliers … il fut remplacé par François Carn »
« Notre aspirant qui était chargé de faire toutes les courses à Portsmouth se nommait Marcel Froger. Ses parents avaient un magasin à Cherbourg… grâce à ses efforts notre nourriture était assez bonne »
« Alexandre Legrand, maître mécanicien, avait un garage à Rennes, un jour il était parti en remplacement sur le Chasseur 42 et durant un bombardement à Portsmouth, une bombe incendiaire lui tomba sur le bras gauche je crois, et il ne revint jamais aux Chasseurs »
« Alexandre Legrand a été remplacé par un second maître Laidet originaire de Boulogne »
(note : Alexandre Legrand devait décéder peu après la fin de la guerre, en 1947)

« Yves Guidal, un bon électricien, quelques mois après être embarqué sur le 10 perdit tous ses cheveux et fut envoyé à l’hôpital, il ne revint pas lui non plus »
« Pierre Bazin, un parisien le remplaça. Bazin était un vrai caractère et nous passions de bon moments ensemble ! »
« Louis Dulac mon camarade de quart lui était né à Blacé, un petit village dans le Rhône, à l’armistice il était à Alexandrie en Egypte sur le sous-marin Protée, il rejoignit la France Libre avec Hunziger un télégraphiste et Claude (nom propre) qui était radio. »
« Pierre Giovanni était Corse, un gars charmant et un bon camarade »
« Le garçon qui s’occupait du carré du commandant était Robert Lesca … c’était un brave gars »
« Notre commandant Ibarlucia était très bon marin et nous lui faisions confiance »

Un lien vers une interview de Pierre l'Hours portant sur la période du conflit incluant le raid sur Dieppe (Imperial War Museum):
Pierre L'Hours 

Commentaires sur Pierre Beyer

Pierre Beyer né en novembre 1923 à Guipavas (Finistère), travaillait à l’arsenal de Brest à l'armistice, il est parti de Roscoff le 19 juin 1940. Avec une douzaine de personnes ils réquisionnèrent un cargo Lituanien pour rejoindre Falmouth. Après un passage au Cristal Palace et à l’Olympia Hall, il rejoignit un camp de scout au Pays de Galles car trop jeune pour combattre. 15 jours plus tard il fut affecté sur le Courbet avant de rejoindre le Chasseur 10 le 20 octobre 1940 qui était la date de retrocession du Chasseur aux FNFL. Lien vers la fiche de Pierre Beyer, sur le site des français libres. Ensuite il fut affecté sur la Combattante qui à la fin de la guerre, en février 1945, fut coulée par une mine. Pierre Beyer fit parti des rescapés mais grièvement blessé il perdit un poumon. Après guerre il se maria, eut 4 enfants mais décéda prématurément en 1964, conséquence de ses blessures.(source : Jean Pierre Beyer, un de ses fils)

Commentaires sur Léonard Joly

Léonard JOLY est né à Ostende le 9 mars 1904. Il se marie en 1935. Il s’engage dans les FFL le 18 juin 1940 puis dans les FNFL le 1er juillet. Quartier–maître de manœuvre, il séjourne sur le cuirassé Courbet à Portsmouth du 18 juin au 16 septembre, puis sur le Président Théodore Tissier (école navale) jusqu’au 20 octobre. Il embarque sur le chasseur CH10 jusqu’au 16 août 1941. Il est affecté ensuite sur l’aviso Diligente, base des chasseurs à Cowes, jusqu’au 1er janvier 1944. Il est alors envoyé à la caserne Bir-Hakeim à Portsmouth jusqu’au 2 juin 1944, puis à la caserne Surcouf à Londres jusqu’au 9 mai 1945. En 1970, il est retraité de la marine marchande, habite Dunkerque. Il décède à l’hôpital de Rosendael en 1977. (source : Dr Jean Poirriez - Société Dunkerquoise d'Histoire)

Equipage du Chasseur 10 Bayonne en avril 1941

Le listing qui suit est la liste des membres de l'équipage du chasseur 10 tel qu'il apparait (archives, Vincennes) en avril 1941. On peut noter que les marins étaient souvent originaires de l'Ouest de la France. Ce qui saute aux yeux également c'est que ces marins étaient souvent très jeunes y compris le commandant Ibarlucia. Ceci était vrai également pour d'autres Chasseurs.

Nom Prénom Année naissance Départ. naissance âge grade/fonction
Ibarlucia      Max, Martin 1917 Hanoï 23 1er Maître de manœuvre
Froger Marcel, Jacques 1920 49 20 Maître Aspirant
Olry Lionel,Charles 1920 Kigoma 21 Second maître Aspirant
Gourvil René 1921 76 19 Second maître Aspirant
Thoreux Théodore 1913 35 27 Second maître de manoeuvre
Amati Jean, François 1907 20 33 Second maître de manoeuvre
Legrand Alexandre, Hyppolite 1915 35 25 Second-maître mécanicien
Ange Abel 1917 76 23 Quartier-maître mécanicien
Dulac Louis 1920 69 21 Quartier-maître mécanicien
Gérard René,Pierre 1920 28 21 Quartier-maître de manoeuvre
Joly Léonard 1904 59 37 Quartier-maître de manoeuvre
Sclaminec Henri 1914 29 27 Quartier-maître de manoeuvre
Guidal Yves 1923 29 18 Quartier-maître électricien
Hunziger Alfred, Joseph 1918 68 22 Quartier-maître radio
Bazin Pierre, Henri 1921 78 20 Matelot électricien
Berthou Jean, François 1919 22 21 Matelot cuisinier
Beyer Pierre, Marie 1923 29 17 Matelot fusilier
Carn François 1913 29 28 Matelot électricien
Corvasi Edouard 1922 13 18 Matelot gabier
Delannoy Raymond, François 1921 62 19 Matelot canonnier
Giovanetti Pierre, Marie 1921 13 19 Matelot gabier
Hollande Francis 1918 75 23 Matelot électricien
Lesca Robert 1920 33 20 Matelot maître d'hôtel
L'Hours Pierre 1921 44 19 Matelot mécanicien
Milliner Joseph 1922 29 18 Matelot aide-fusilier
Quesnee Albert, Maurice 1922 14 18 matelot canonnier
Personnel de liaison britannique
Matthews Robert 27 ans environ Wireless(radio)
Martin Ernest 20 ans environ Signalman
Bellis Nigel 1919 Leicester Lieutenant RNVR
         

Equipage du Chasseur 10 en 1941
Photo d'une partie de l'équipage du Chasseur 10 prise à Portsmouth
Equipage du Chasseur 10 en 1941
Photo d'une partie de l'équipage du Chasseur 10 prise à Cowes probablement début 41.

Le Chasseurs 10 était donc en carénage à Cowes en ce début 41. Lors de ces périodes d'immobilisation du navire, les membres de l'équipage pouvaient effectuer des missions de remplacement sur d'autres Chasseurs.
En Avril 1941 Alexandre Legrand, maître mécanicien sur le Chasseur 10, fut envoyé à Portsmouth pour effectuer un tel remplacement. Portsmouth était régulièrement bombardé la nuit par l’aviation allemande. Dans la nuit du 11 au 12 avril 1941 vers 21h45 il fut grièvement blessé à un bras par des éclats d’obus incendiaires. Il ne devait plus jamais revenir à la base des Chasseurs. Ce fut le premier drame qui toucha le Chasseur 10.

Le maintien de la discipline parmi les équipages ne fut pas des plus évident du fait des origines diverses des marins (civil ou marine marchande principalement). Dans un premier temps les officiers supérieurs ont essayé d’imposer une discipline similaire à celle qui existait dans la Marine française d’avant-guerre. Ainsi en avril 1941 l’équipage du Chasseur 10 sera consigné durant une semaine comme cela peut se voir sur le rapport de L’E.V. Kapry ci-dessous  (archives Vincennes) :

Bord le 24 avril 1941

L’Enseigne de vaisseau Kapry
à              
Monsieur le Capitaine de Corvette Kolb-Bernard
Commandant le Groupe des Chasseurs



Commandant,

En réponse à votre ordre du 22 avril 1941, j’ai l’honneur de vous rendre compte que :
1- Les huit jours de consigne, infligés par vous à l’équipage du Chasseur 10, ont été commencés dès hier soir, la punition prendra donc fin le 1er mai.

2- La patrouille de tenue en ville a été organisée

Je suis malheureusement obligé de me rendre à l’évidence que l’équipage du Q010 possède une mentalité autre que les équipages des autres Chasseurs.
Dans la soirée d’hier je reçus la visite du 1er maître Ibart, retour de Portsmouth. A ma remarque, au sujet de son absence de Cowes, (absence dont je n’ai pas été avisé), ainsi qu’à la question pour quelle raison je n’ai pas été prévenu par lui, des incidents qui se sont produits à terre, le 1er maître Ibart m’a répondu qu’aucun ordre ne m’ayant désigné comme officier supérieur à Cowes, il n’a pas cru devoir me rendre compte de quoi que ce soit.
Le 1er maître Ibart semble être de mauvaise foi en voulant, pour protéger son équipage, charger les équipages des autres Chasseurs.


L’Enseigne de Vaisseau Kapry, Commandant Q015

En réalité l'équipage du chasseur 10 n'était ni plus ni moins  indiscipliné qu'un autre.  En fait ces jours de consignes étaient la conséquence de l’incompréhension qui existait entre, d’une part les officiers supérieurs qui voulaient une discipline rigoureuse, et des marins qui eux étaient des volontaires pour qui l’important était que le travail soit fait. Alors saluer les supérieurs n’était pas dans leurs préoccupations. De ce côté-là leurs commandants avaient bien compris la situation et s’en accommodaient. Les officiers supérieurs mettront bientôt de l’eau dans leur vin. Il n’était pas possible de passer son temps à punir les équipages, d'autant plus que ceux-ci n’étaient déjà pas trop nombreux.

L’équipage du Chasseur 10 a bien été consigné à bord du bateau pendant la semaine prévue. La cause en était que les marins n'avaient pas  salué leurs supérieurs lors d'une sortie en ville.  Selon Pierre l’Hours la semaine s’est passée, pour l’équipage, à jouer aux cartes. Le commandant Ibarlucia descendait régulièrement bavarder avec eux et leur tenir compagnie. De son côté il avait bien compris qu'il fallait transiger sur certains règlements en vigueur dans la Marine.

Marvin's Yard avant les bombardements
Photo prise à Marvin's Yard début 1941.
Marvin's Yard charette
Photo prise à Marvin's Yard début 1941 (sur le terrain à côté de la cale sèche). On peut distinguer en arrière plan la Medina et au-delà, à East Cowes des bâtiments qui seront détruits lors des bombardements de mai 42. Au premier plan Alfred Hunziger, puis Pierre Beyer et Louis Dulac, à gauche et au fond, Henri Sclaminec et Pierre L'Hours.

Nourriture, santé

"Durant tout mon séjour à Cowes nous avons bénéficié d'une nourriture très correcte, sans doute même meilleure que celle de la population civile. Néanmoins rapidement sont survenus des problèmes de dents qui se déchaussaient. Nous avions en fait une nourriture en grande partie basée sur des conserves et carencée en vitamine C. Lorsque j'ai consulté le médecin il m'a proposé comme solution de cueillir des pissenlits et de les manger en salade !" (Henri Sclaminec).

Rapidement la base de Cowes a vu l'installation d'une infirmerie sur le Chasseur 106.

Les pathologies rencontrées parmi les FNFL étaient bien sûr similaires à ce qui pouvait exister dans le civil. En décembre 1941 on pouvait noter au centre médical FNFL de Londres (25 St Edmund's Terrace)  119 malades dont entre autres :

  • 20 malades souffrant de la gale
  • 8   atteints de syphilis
  • 11 atteints de blennoragie (chaude-pisse)
  • 6   alcooliques
  • 10 souffrant de paludisme
  • 8 atteints de tuberculose pulmonaire
  • 8 cas suspects d'ulcère à l'estomac
  • 4 cas d'affections pulmonaires
  • 4 cas de varices
  • 4 accidentés

(sources archives Vincennes)

L'amiral Muselier

L’année 1941 commencera par un coup de théâtre. L’Amiral Muselier est arrêté début janvier par les autorités britanniques pour trahison. Il est accusé sur la foi de certains documents d’avoir trahi en divulguant aux autorités de Vichy des informations concernant l’opération de Dakar. L’Amiral est jeté en prison. Le Général de Gaulle intervint auprès des autorités britanniques pour faire libérer l’Amiral qui devait considérer que cette demande arrivait un peu tardivement. L’évidence que les pièces qui accusaient l’Amiral étaient des faux fut constatée mais l’Amiral ne devait être libre que le 10 janvier. Les autorités britanniques présenteront leurs excuses à l’Amiral via un courrier du ministre des affaires étrangères. Cette affaire n’a jamais été vraiment élucidée et l’Amiral imputera aux services de sécurité de de Gaulle la responsabilité de la manigance.(Muselier p155).Muselier sera également très critique vis-à-vis de l’intervention de la France libre aux côtés des anglais en Syrie. L’adversaire en l’occurrence était des français fidèles au régime de Vichy. Plus tard le conflit porta sur la création d’un « Conseil national » par de Gaulle. L’Amiral Muselier n’en faisant pas partie, ce dernier écrivit à de Gaulle lui laissant entendre qu’il ne voulait rien avoir à faire avec ce Comité et que lui continuerait de son côté la guerre avec la Marine. C'était une sécession au sein des FFL.Le général de Gaulle lui intima l’ordre de revenir à la raison. Après une conciliation, menée par les britanniques que la situation commençait à inquiéter, Muselier accepta un compromis. De Gaulle nomma l’amiral au Comité National Français en tant que commissaire national à la Marine et à la marine marchande.(p169)

Le 21 octobre de Gaulle remettait à l’amiral la Croix de la Libération, cela faisait sans doute partie du compromis.
En novembre 41 de Gaulle confia à l’Amiral la mission de rallier l’archipel de Saint Pierre et Miquelon. Les américains considéraient cette opération comme nuisible du fait de leurs relations existantes avec Vichy et le firent savoir lors d’une réunion faite à l’initiative de Muselier. De Gaulle apprenant par voie de presse que l’amiral avait « négocié » avec les américains s’en offusqua considérant que l’amiral une fois de plus empiétait sur son domaine réservé : la politique. Il télégraphia à Muselier sa façon de penser en lui intimant l’ordre de rentrer à Londres.
Entre temps apprenant une éventuelle action des canadiens sur Saint Pierre, de Gaulle changea d’avis demandant à Muselier de rebrousser chemin et de rallier Saint-Pierre et Miquelon à la France Libre. C’est ce que l’amiral fit en douceur. Il organisa un plébiscite sur l’île pour que les habitants choisissent entre Pétain et de Gaulle. Leur choix porta massivement sur la France Libre. Si la presse américaine approuva cette opération qui survenait après Pearl Harbour il n’en fut pas de même de Roosevelt ni surtout de son secrétaire d'état Cordell Hull. L’amiral reviendra à Londres mi-février non sans avoir été averti par le CV Moret son chef d’état-major que de Gaulle voulait l’évincer. Du coup ce qui devait être un retour triomphal de l'Amiral se transforma en conflit à l'initiative de Muselier. Le conflit larvé existant entre de Gaulle et Muselier alla en s’exacerbant quand de Gaulle demanda à Muselier qu’il se sépare du CV Moret. En même temps de Gaulle demandait à Muselier de rallier Madagascar.

Mais en Mars 42 Muselier donnait sa démission du Comité National. Celle-ci fut acceptée. En même temps Muselier indiquait qu'il partait avec "sa" Marine. De nouveau les britanniques allaient intervenir pour éviter une crise supplémentaire. La crise devait bientôt atteindre son paroxysme et se traduisit au final par l’éviction de l’Amiral et la nomination d’Auboyneau comme commandant en chef des FNFL.

De Gaulle n'a pas eu qu'avec Muselier des relations difficiles. Elles l'ont également été avec Churchill. Ces deux hommes ont été, après une courte lune de miel, en perpétuel conflit. De Gaulle soupçonnait les britanniques de vouloir augmenter leur influence sur ce qui était l'Empire français au détriment de la France, c'est à dire pour de Gaulle, la France Libre. A plusieurs reprises la rupture a été proche et sans le travail patient d'Eden, il est vraisemblable que Churchill aurait mis fin à sa collaboration avec le général. Ceci est d'autant plus vrai que Roosevelt de son côté préférait de loin maintenir ses relations avec Vichy plutôt que de favoriser la France Libre.

Documents sur le sujet

On peut lire le "De Gaulle et Churchill" de François Kersaudy pour se faire une bonne idée des tensions qui ont pu exister entre les deux hommes.

et lire un document traitant du sujet :

Un ennemi du général de Gaulle au temps de la Fance Libre : le capitaine de vaisseau Raymond Moullec

Récit